Ombre & Lumière Tome 2 - La Cascade d'Entre les Mondes

Chapitre 54

« Guerres aux châteaux. Paix aux chaumières. »

Nous nous sommes engouffrés au plus profond des quartiers pauvres de la Cité, dans des lieux que je n'avais pas encore eu l'occasion de visiter. Il y avait beaucoup de petits escaliers qui reliaient les maisons aux autres en survolant les ruelles sombres et étroites. Les pierres penchaient vers un marron-gris qui, comme le pain noir, marquaient un contraste fort avec le marbre et les blocs de pierres blancs et bien taillés des alentours du Palais. J'imaginais les familles entassées dans leur maison et j'étais certaine qu'elles étaient toutes déterminées à retrouver leur liberté, ne serait-ce que pour pouvoir rendre visite à leurs voisins sans être accusés de comploter contre la Couronne – même si d'un côté celle-ci avait raison de se méfier. Par-ci par-là, des maisons avaient été démolies et seules quelques parcelles de mur étaient restées en place. J'ai repéré un bouquet entre les ruines, en mesurant les risques qu'avaient pris celui qui avait cueilli et déposé ces fleurs, Théo allait devoir se montrer à la hauteur des hommes courageux qui se battraient à ses côtés.

- On y est, dit-il en lançant un regard circulaire pour vérifier que personne ne nous a suivi avant de pousser la vieille porte en bois d'une maison en apparence comme toutes les autres.

Le rez-de-chaussée est vide, les murs intérieurs sont en pierre et un parquet en miettes recouvre le sol. Les mites l'ont tellement rongé qu'il se décompose sous nos pieds à chacun de nos pas.

- Il y a beaucoup d'araignées, observé-je.

Les deux anges se dirigent vers le fond de la pièce où se situe une autre porte. Je compte les coups que frappe Théo : il y en a six, à intervalles réguliers. Nous patientons quelques instants puis des bruits se font entendre de l'autre côté, je devine qu'on ôte des grosses planches servant de barricades. La porte s'ouvre enfin et un visage se dessine dans l'encadrement. Je reconnais aussitôt le père de Lahela, il prend sa fille dans ses bras et la serre presque trop fort contre lui. Il me salue ensuite, de même que Théo, puis nous fait signe de nous dépêcher et nous montre le chemin. L'étage est archi-comble. Des personnes de tout âge sont réunies, hommes, femmes, enfants ; pourtant ils gardent un silence digne d'être salué. La mère de Lahela s'approche toute émue et sa fille s'empresse de l'étreindre tendrement. J'ai chaud au cœur de ces retrouvailles seulement moi aussi j'aimerais revoir ma famille, mon village, et tout ce que j'ai quitté il y a deux mois ; mais ce que je veux par-dessus tout, c'est revoir un certain démon avec qui rien ni personne ne me manquait.

- Voici Ambroisie Borély, annonce Théo. Lahela et moi l'avons emmenée au Paradis sur ordre de la Couronne car elle détenait un pouvoir spécial. Nous avons obéi, sans plus de renseignements et en ignorant totalement les intentions du gouvernement. Elle était soupçonnée d'avoir un sang spécial, quelque chose en elle de différent, la Couronne voulait s'en servir à son avantage ou pour négocier avec les vampires qui la convoitent. Les analyses n'ont fourni aucun résultat et j'ai appris que le nouveau plan consistait à lui faire passer toutes sortes de tests comme un vulgaire cobaye puis la livrer aux vampires en cas d'échec. En parallèle, la Couronne préparait sa nouvelle élection, en commençant par faire un tri dont nous avons tous été victimes. Lahela et moi avons compris trop tard que nous servions un tyran aveuglé par sa quête de pouvoir mais nous avons quand même réussi à évacuer Ambroisie du Paradis. Ensuite nous vous avons informé de ce qui se tramait dans le but que le moment venu nous puissions mettre fin à cette dictature.

La plupart des regards sont approbateurs et déterminés, même si quelques enfants ont peur et se font consoler par leurs mères, têtes basses, pensives.

- Et Ambroisie est revenu.

J'entends des « Comment ? », « Il ne nous dit pas tout ! » ou enfin des soupçons de mensonges, Théo les fait taire aussitôt.