Chapitre 21

332 50 7
                                    


La tempête rage avec la même intensité qu'il y a une demi-heure. Et à voir le ciel plus noir que gris se propageant à l'horizon, on pourrait croire qu'il en est toujours ainsi et que le temps ne s'améliore jamais, peu importe les heures, les moments de la journée ou les saisons. Où sommes-nous ? ai-je envie de demander à Yanis que je sens s'approcher de moi. Sûrement là où s'arrête le soleil, au bord de la désolation que même lui a délaissé, à la frontière d'un monde peuplé de monstres et de choses dénuées de bienveillance. Y a-t-il seulement de la vie dans ces eaux sombres ? ou sont-elles juste la lisière de l'au-delà, et ont-elles pour seule et unique fonction de mener des corps vides jusqu'à l'Inconnu ? Si je sautais, m'échouerais-je sur une plage de sable chaud ? Et si oui, serais-je alors véritablement morte ? Mon âme me quitterait-elle ?

Mon âme, me quitteras-tu lorsque mon cœur aura cessé de battre ?

Yanis passe la tête par-dessus mon épaule pour observer le dessin de Théo.

- Qu'est-ce que c'est ? demande-t-il, intrigué.

Je prends mon inspiration et me prépare à lui dévoiler l'existence d'un lieu dont il n'avait peut-être aucunement connaissance. Je sais qu'il comprendra et qu'une fois qu'il en saura autant que moi, nous pourrons nous concerter ensemble. Seulement je redoute tout ce que ceci implique. J'ai le pressentiment que ma rencontre avec le vieillard n'est pas anodine, de même que la réception de cette lettre accompagné de la reconstitution approximative du tableau que j'avais oublié. Tout ça maintenant. Comme si le fait de parler du Paradis en cet instant précis influerait sur le futur.

- Lors d'une balade au Paradis je suis tombée sur un vieux peintre, commencé-je. Ses tableaux étaient comme un trésor pour lui, et puis je crois qu'il ne lui restait plus que ça. Ce dessin en représente un. Celui que j'ai échangé contre une pièce et que j'ai caché derrière l'armoire de ma chambre, au Palais. Je l'avais complètement oublié... sans doute à cause de Wilfried...

- C'est qui lui ?

Je sens dans sa voix monter la colère, je suppose qu'il devine peu à peu une des causes de mes oublis...

- Un garde. Il a tué le vieillard sous mes yeux, après quoi il m'a pourchassée. J'ai réussi à m'enfuir mais il a fini par me retrouver quelques jours plus tard. Il m'a donnée un grand coup à la tête et j'ai rouvert les yeux la semaine suivante dans une pièce blanche comme une chambre d'hôpital, sans le moindre souvenir de ce qui s'était passé, dis-je, mes paroles à demi-étouffées dans un sanglot. Théo... Théo m'a dit que je m'étais cognée la tête.

Je ferme les yeux en prononçant son nom, me remémorant son regard qui traduisait un « je suis désolé » presque à chaque fois qu'il posait les yeux sur moi. Puis de meilleurs souvenirs me reviennent ; je me souviens du bal, du soulagement que j'avais éprouvé lorsqu'il était venu m'arracher à ma discussion avec Mirta et Roger, de la danse que nous avions partagée et de notre conversation sur le balcon du Palais. Nous nous étions embrassé, et à ce moment-là j'avais cru que tout s'arrangerait, que ma vie au Paradis s'améliorerait et que Théo et moi on pourrait juste... s'aimer...

Mais tellement de choses se sont déroulées entre temps que tout ceci n'est plus d'actualité. A présent je suis sur Terre, nous sommes tous en danger de mort... et surtout, il y a Yanis.

- Quel connard, dénigre-t-il d'un ton amer.

- Non, c'était pour me protéger...

- Arrête de trouver des excuses à tout le monde ! me coupe-t-il. Il n'a rien assumé du tout et il n'a même pas su te protéger d'un garde !

Ombre & Lumière Tome 2 - La Cascade d'Entre les MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant