Chapitre 26

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Elle était belle, songea-t-il. Vraiment très belle. Il était allé chercher des boissons tandis qu'elle patientait, assise à genoux sur un siège, face au dossier, observant par les grandes vitres sales Manhattan qui s'étendait au-delà de la mer. La vue de là où elle se tenait était loin d'être splendide. Elle devait sans doute apercevoir l'Empire State Bulding, mais le panorama était sûrement flou. Ses cheveux recouvraient le haut de son dos, elle avait l'air d'une gamine. Yanis s'attendait presque à ce qu'elle s'écrie : « Maman, regarde ! » en montrant du doigt l'horizon nuageux, telle une enfant reconnaissant un monument qu'elle avait particulièrement apprécié durant son séjour.

C'était peut-être pour ça qu'il l'aimait autant. Parce que tout avait l'air de la fasciner et qu'elle était captivée par des choses qui auraient parues dérisoires aux yeux des autres. Ambroisie était différente de toutes les filles qu'il avait rencontrées. Elle paraissait comprendre ce qu'il ressentait. Elle cherchait désespérément le sens de la vie et il était persuadé qu'elle était tout proche de le trouver. Comme très peu de personnes au monde, elle était faite pour côtoyer l'exceptionnel ; car elle possédait elle-même une part d'extraordinaire.

Si c'était le destin qui avait fait en sorte qu'il croise son chemin, Yanis le remerciait du fond du cœur.

Il rejoignit Am et lui tendit la canette d'Ice Tea qu'elle lui avait demandé. Elle la saisit, l'ouvrit et se mit à boire lentement, les paupières quasiment closes. Elle savourait le goût du soda, là encore d'une façon bien à elle. Yanis sourit sans qu'elle ne le remarque et décapsula son Coca avant de s'en abreuver. Seulement, pour lui, il ne s'agissait que d'un Coca. Il en eut presque peur de décevoir Am de ne pas se rendre compte d'à quel point il était fabuleux d'avaler cette substance purement artificielle et de s'imaginer le parcours qu'avaient effectué les ingrédients pour parvenir jusqu'à sa bouche.

Elle jeta un coup d'œil furtif à l'horloge puis toute son attention fut concentrée sur lui.

- Merci, murmura-t-elle.

- A propos de quoi ?

Elle demeura sans réponse et le fixa intensément, il était à deux doigts de se sentir mal à l'aise. Cet instant parut s'éterniser, puis, finalement, elle secoua sa canette à moitié vide.

« Merci pour m'avoir rapportée ce soda ? » Non. Yanis était sûr et certain que ce n'était pas la cause de ses remerciements. Les boissons faisaient partie des banalités auxquelles un regard suffisait à signifier sa gratitude. Il savait que ses regards à elle n'étaient pas comme tous les autres, et qu'elle lui était éperdument reconnaissante. Ce « merci » faisait allusion à une précision qu'il ne parvenait pas à définir. Il s'en voulut de ne pas la connaitre suffisamment pour décrypter tous ses faits et gestes ; d'un autre côté c'était sa singularité qui faisait son charme : elle était indéchiffrable et ne se comprenait pas elle-même. Comme un code vivant et complexe scellant l'accès d'un ordinateur top-secret.

Un peu plus tard les passagers à destination de la Jamaïque furent appelés, Am et Yanis effectuèrent un second contrôle de sécurité, là-dessus les Américains ne rigolaient pas. Ils réussirent enfin à prendre place dans l'avion qui était archi-comble. Leur siège les séparait d'une dizaine de rangées ; étrangement, cet éloignement temporaire ne leur posait pas de problèmes. Ambroisie était fatiguée et se laissa aller à une petite sieste tandis que Yanis, lui, avait la tête trop occupée pour se reposer. Alors, malgré lui, il pensa.

Premièrement il fit le point sur ce qu'il venait de traverser ces dernières heures. Hier matin il était au cœur de la Polynésie, ensuite il s'était rendu à Paris, il avait passé la nuit à New York, le matin il s'était téléporté en République Tchèque, il était rentré à son appartement, dans une rue adjacente à Times Square, puis il venait de mettre les pieds dans un avion à destination des Caraïbes. Et, pour couronner le tout, il se retrouverait bientôt au Paradis. Il devait admettre que ça faisait un peu beaucoup. Il était un démon, il pouvait supporter tout ce dépaysement et la pression qu'impliquait l'aventure dans laquelle il s'était lancé. Mais Am ? Arrivait-elle à gérer les évènements intenses qui se suivaient sans lui accorder plus de quelques heures de répits ? Il s'en voulut une énième fois de ne pas avoir été assez prévenant. En cet instant, il fut persuadé que même Théo aurait su se montrer plus zélé et attentionné que lui.

Ombre & Lumière Tome 2 - La Cascade d'Entre les MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant