Chapitre 55

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Ce soir il n'y a pas d'étoiles dans le ciel. De légères gouttes de pluie se remettent à tomber. Entre nous quelques regards discrets sont échangés puis, dans un silence d'enterrement, nous arrivons sur la petite place de la fontaine. Celle-ci est étrangement calme mais l'explication est toute trouvée : les anciens détenus sont arrivés avant nous et exigent la mobilisation de tous les gardes disponibles.

- Dépêchons-nous ! lance Théo.

Nous nous élançons jusqu'aux petits escaliers blancs – une des multiples entrées du Palais – que j'avais empruntés jadis, un énième jour d'emportement. L'environnement paradisiaque avait alors pour moi des allures de prisons dont les gardiens n'étaient que de sales hypocrites, des personnages souriant faisant vaguement penser à des clowns que l'on croiserait en pleine nuit.

Les couloirs sont étroits et forment des tas d'intersection qui mènent un peu partout. Théo connait ce labyrinthe comme sa poche. De faibles chandelles éclairent les murs immaculés mais le sol est quant à lui terreux, signe des nombreux allers-retours des gardes entre la tour et le Palais. Des bruits de pas et des hurlements retentissent au-dessus de nos têtes.

Ça a commencé.

- Il y a deux ou trois gardes au-dessus, je sais où ils se dirigent, on va pouvoir les surprendre et dérober leurs armes.

Théo nous indique un recoin derrière lequel se cacher, nous nous y précipitons tandis qu'il se positionne contre un mur adjacent. Les pas se rapprochent, de plus en plus fort, faisant ressortir en moi des souvenirs plus ou moins lointains. Puis Théo se jette sur les gardes, imité par les autres anges de notre petit groupe. Je reste à l'écart et dans la cohue aperçois un casque retomber par terre avec... une tête à l'intérieur, tranchée net par une hache. Le calme revient et une femme me tend une épée bien trop lourde pour moi.

- Alors prend ça, propose Théo en désignant une dague près d'un cadavre.

Après m'en être saisie nous repartons comme si de rien était, aucun blessé parmi nos rangs. Les fracas des armes qui s'entrechoquent nous parviennent de plus en plus distinctement, nous nous en approchons, inévitablement. Les couloirs s'élargissent et bientôt nous débouchons sur un petit salon doté d'un piano à queue qui occupe la majeure partie de la pièce par sa taille imposante.

- Nous sommes au centre du Palais, nous informe Théo. A mon avis la Couronne sous-estime l'attaque et doit encore se trouver dans ses appartements. Ils sont tous proches d'ici. A partir de maintenant plus un bruit, compris ?

Le secteur dans lequel nous circulons est richement décoré, des peintures aux couleurs pâles s'étendent sur le plafond, racontant des siècles et des siècles d'histoire. Certaines scènes marquantes sont représentées, c'est du moins ce que je devine en reconnaissant des lieux tels que la salle du Conseil ou bien la façade du bâtiment qui abrite la grande maison de couture paradisiaque ; on y a fait la robe rougeoyante que j'ai porté au bal du solstice d'été. Cela remonte à longtemps or tous les souvenirs que j'ai du Paradis ne m'évoquent aucune nostalgie. Les murs sont parsemés de fresques et de tableaux, cependant ils n'ont rien à voir avec ceux du vieillard, ceux-ci se résument à des portraits, des guerriers à cheval, des anges déployant fièrement leurs ailes ou encore le Palais vu sous de multiples angles. Les chandeliers, quant à eux, semblent être en or et les petites flammes dansent sur les murs comme des silhouettes filiformes se tortillant sur elles-mêmes.

C'est alors que Théo nous arrête d'un signe de la main et passe sa tête dans un long couloir dont on ne peut estimer la fin – du moins pas sans percer l'étrange obscurité qui règne au fond.

- Pourquoi est-ce que c'est éteint ? je lui demande en chuchotant à son oreille.

Il incline la tête vers moi et cette proximité me met mal à l'aise, mes yeux s'attardent un instant sur ses lèvres rosées... mais lorsque celles-ci se mettent à onduler afin de formuler une réponse je me ressaisie.

Ombre & Lumière Tome 2 - La Cascade d'Entre les MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant