Chapitre 15

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Yanis, qui jusqu'ici relisait la lettre en provenance du Paradis afin de vérifier qu'il l'a bien interprétée, me rejoint au bord de l'eau. Fixant l'horizon dans le but de comprendre ce qui retient mon regard, il me demande si j'ai fini d'écrire.

- Oui, dis-je, hébétée par sa question.

- Qu'est-ce qui t'étonnes ?

- Un peu tout. Mais c'est ce que tu cherches, non ? Surprendre les gens ?

J'obtiens un sourire en guise de réponse, et pour tout vous dire ça me va très bien.

- Et toi ? C'est bon, on ne s'est pas trompé ? C'n'est pas à Los Angeles le rendez-vous ?

- Non... C'est toujours à Paris.

Yanis replonge son regard en direction de l'océan, comme s'il est le seul à pouvoir déceler ses secrets. Une certaine complicité se dégage entre le démon et la nature. Je suis sûre qu'il pourrait être bon ami avec l'Etna.

- Tu vois quoi, toi ?

- La liberté, réponds-je immédiatement après qu'il m'ait posé une des questions les plus déconcertante qui soient sorties de sa bouche depuis notre rencontre. Et l'infini. J'ai l'impression que ce bleu est éternel, qu'il ne prendra jamais fin.

- Tu veux que je te montre ?

Il ne m'interroge pas à proprement parlé, car aussitôt sa phrase terminée il m'enlace et je nous sens décoller du sol. Je n'ai pas besoin de lui demander ce qu'il fait pour comprendre qu'il a l'intention de m'emmener là où l'océan prendra fin. Yanis n'a pas de limites, et s'il en avait il ferait toujours tout pour les dépasser avec moi.

Il serait prêt à faire n'importe quoi pour moi et il réaliserait mes rêves les plus fous sans la moindre hésitation.

Aujourd'hui il a choisi de me montrer ce qu'est la liberté. A ses yeux, ça consiste à aller là où bon nous semble.

« Je t'aime comme on aime certaines choses obscures ».

Ça résume parfaitement mon amour pour Yanis. Il concrétise mes désirs et me sert sur un plateau mes rêves les plus lointains. Il est le feu, le sang, la colère et l'impatience. Mais plus que tout il est vivant. Il redonne un sens à ma vie et moi j'en un donne à la sienne. Mon cœur brûle à sa pensée et tout mon corps s'emballe quand il s'approche de moi.

Il a ce fameux regard de défi qui a l'air d'en vouloir au monde entier. Qu'il haïsse ou qu'il aime, c'est toujours avec passion. Il agit au lieu de parler, il montre au lieu de dire, et surtout, il prouve au lieu de promettre. Il ne se laisse pas faire et il est fort, mais en même temps, au-delà de cette carapace se cache un homme capable de voir mes peines derrière mes sourires, mon amour malgré ma colère et les raisons de mes silences. Tant qu'il m'aime, je me fiche bien du reste. Il est la seule chose qui ait encore une importance pour moi dans ce monde. Je n'ai besoin que de lui. Plus le temps passe et plus il devient mon essentiel, j'en oublie Théo et tous les autres. Yanis est là, contrairement à eux, et il ne me laissera jamais. Il ne voudra jamais partir et de toute façon je ne lui en donnerai pas l'occasion. Le destin nous a réunis et le hasard a bien fait les choses. Loin de ses yeux les miens ne voient plus rien et mon cœur ne bat plus qu'au rythme du sien.

Ça y est, je crois que je suis bel et bien tombée amoureuse d'un démon. Je commence à ressentir des choses trop fortes pour n'être que des symptômes de l'attirance. C'est de l'amour, et j'en parle comme d'une maladie parce que je sais d'avance que si nous avons la chance de connaitre une histoire d'amour commune, l'intensité sera telle que je doute que nous puissions la supporter.

C'est un engrenage, un cercle, un feu qui a pris sur une planète recouverte de pétrole. En bref, un amour chimérique est né.

S'il m'emmène avec lui jusqu'au bout du monde, c'est parce que les mots ne suffisent plus à ses yeux. Il sait que c'est le moment de donner un exemple, alors il m'en donne un. Il veut me prouver qu'il m'aime.

Nous volons si vite que je n'entends plus qu'un brouhaha incessant qui se propage dans tout mon corps.

C'est comme si l'air arrachait ma peau et me dénudait jusqu'à ce que ne demeure que mon âme, vagabonde et voyageuse. J'explore un monde qui n'appartient à personne. J'effleure un océan sauvage qui n'aura jamais de maître.

Le temps semble s'accélérer tel que si je portais une montre les aiguilles se seraient déréglées.

Je contemple sur l'eau l'ombre des ailes noires de Yanis qui semblent tout droit sorties d'un rêve. La réalité parait bel et bien bannie, désormais tout est possible, tout est envisageable. Ce qui m'arrive dépasse de loin ce que j'aurais pu imaginer.

Enfin, l'horizon bleu qui avait l'air de se poursuivre à l'infini change étrangement de couleur. Avec la réverbération du soleil j'ai du mal à discerner laquelle est-ce.

Yanis freine sa course et nous nous retrouvons subitement à la verticale.

- Ne regarde pas en bas, a t-il à peine le temps de me conseiller avant que mes yeux soient attirés vers mes pieds.

J'ai un haut-le-cœur – bizarrement c'est maintenant que ça me prend – en constatant que nous sommes à une dizaine de mètres d'une eau à la couleur d'un ciel en pleine nuit.

- Waouh... C'est impressionnant !

- Moins que le jour où tu es arrivée au Paradis, non ?

- Ce jour-là j'étais un peu dans la lune, je n'ai pas vraiment fait attention à ce qui m'entourait. Et puis... je n'ai jamais regardé vers le bas... Qu'est-ce que c'est là-bas ? demandé-je en remarquant une forme mobile à quelques kilomètres de nous.

- Un bateau, répond Yanis qui ne l'avait jusqu'ici pas repéré. Un pétrolier. On s'en va. Il ne faudrait pas qu'ils nous voient.

- Est-ce que, comme les anges, tu dois garder l'existence des démons secrète sous peine d'être puni ou bien tu peux faire ce que bon te semble ?

- Si quelqu'un se rend compte que les démons existent il aura presque la preuve que les anges existent aussi... Révéler notre secret à quiconque est passible de mort, et même si les démons n'ont pas dans leur habitude de punir les leurs, les anges, eux, se chargent de prendre les mesures nécessaires. Ils sont un peu les gendarmes du monde, en fait. Ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas, et le Conseil juge qui il veut. S'ils ont besoin de se débarrasser de quelqu'un ils trouveront une excuse pour le faire et personne n'y pourra rien. Le Paradis n'est censé être accessible qu'aux anges...

- Mais au départ, vous aussi vous y viviez. Vous êtes... (je cherche mes mots), de la même espèce. Comment pourriez-vous être chassés de vos propres terres ?

- On n'a pas vraiment été chassés..., dit Yanis sur un ton légèrement agacé, c'est nous qui sommes partis.

- Oui mais...

- Am, il faut retourner sur l'île maintenant.

A ces mots nous prenons le cap sur cette petite île ronde dont j'ai mille fois fait le tour.

Le ciel s'est ensuite éteint progressivement et je suis allée me coucher pour être en forme à Paris. Yanis et moi n'avons pas discuté, sûrement parce que nous sommes conscients qu'il est préférable d'en rester là pour le moment. Je sais qu'il m'aime et il sait que je tiens à lui, cependant les circonstances font que nous avons d'autres priorités. Alors nous reparlerons de tout ça plus tard...


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Ombre & Lumière Tome 2 - La Cascade d'Entre les MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant