40. Tu m'as changée

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Voilà. J'étais toute seule dans notre salon et un mélange de colère et de regrets s'installait peu à peu dans mon cœur.

La discussion que je venais d'avoir avec Thomas n'avait pas du tout pris le tournant que j'avais imaginé et mes lèvres, elles non plus, ne comprenaient pas le vide qu'elles ressentaient, l'absence de celles de Thomas, de ses bras autour de ma taille, de ses murmures dans mon cou.

Au fond, il avait parfaitement raison, j'étais incapable de savoir ce que je voulais réellement. Je passais mon temps à hésiter sans cesse, à imaginer mille et un scénario catastrophes au lieu d'accepter la perspective d'une seule belle fin.

Et même maintenant, je n'étais sûre de rien vis à vis de Thomas, d'un côté j'étais indéniablement attirée par lui mais de l'autre, je n'étais jamais assurée de la réciprocité de ses sentiments à mon égard.

~~~

3h49, j'étais incapable de m'endormir et me forcer à rester dans mon lit ne marchait à priori pas, peut-être que faire les cents pas auraient, eux, plus d'effet.

Le trentième tour du canapé achevé, il fallait que je me rende à l'évidence, je n'étais pas prête à m'endormir de si tôt.

Et la porte entrouverte de la chambre de Thomas eu raison de ma curiosité maladive.

~~~

Sa chambre n'avait rien d'anormal en apparence, comme pour la mienne, son lit trônait au milieu de la pièce, accompagné par la même commode poussiéreuse.

Je commençais déjà à regretter d'être entrée ici quand j'aperçus le tiroir de sa table de chevet entrouverte. Et il fallait avouer que son contenu me poussa à m'avancer un peu plus.

Des lettres, beaucoup de lettres, et soudain, un dilemme : les ouvrir ? Ne pas le faire ? Après tout je ne savais rien de ces lettres ni leur auteur, ni même leur provenance. Les lire serait trahir Thomas une nouvelle fois, et cela, probablement pour rien.

Mais quand je m'étais enfin décidée à refermer ce tiroir une bonne fois pour toute, j'aperçu le mot inscrit sur la première lettre. Et toute mes résolutions partirent en fumée quand je lu une nouvelle fois "Marie" et que je reconnu l'écriture hésitante de Thomas.

Toutes les lettres m'étais destinées, une bonne quinzaine en tout. Les dates inscrites aux versos indiquaient qu'il les avait écrites durant les jours postérieurs à notre discussion sur le toit. Certaines avaient d'ailleurs étaient écrites les mêmes jours.

Ni tenant plus, je m'emparais de la lettre la plus récente, la date montrait qu'il l'avait écrite un peu plus tôt dans la journée.

"Marie,

J'ai l'impression de devenir fou quand je compte les jours que je passe sans toi, les lettres que je t'écris et que tu ne liras sûrement jamais. Je me connais suffisamment pour savoir que je n'aurais jamais le courage de te les donner, à quoi bon de toute façon car tu ne veux pas de moi ?

Mais j'ai besoin d'écrire ces foutues paroles, c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour continuer de te parler, ridicule hein ? Je me persuade qu'un jour tu reviendras, me promettant de ne plus jamais t'en aller, et que moi, qui n'attends que ça, je te prendrais enfin dans mes bras, je te sentirais à nouveau près de moi sachant que tu ne partiras plus. J'embrasserais un millier de fois tes lèvres, ton cou, ton front, ton corps tout entier. Mais pour l'instant, je suis juste seul sur mon lit comme un con parce que j'ai été incapable de te montrer que tu pouvais me faire un minimum confiance.

Et pourtant, s'il y a une chose dont je suis sûr, c'est que tu peux m'accorder ta confiance. Car moi, je l'ai toujours fait, et surtout, parce que je suis désespérément amoureux de toi. Je t'aime, je t'aime comme un dingue mais je n'ai jamais réussi à te le dire et je t'ai perdue.

Pardonnes-moi d'être le con que je suis,

                                   Thomas."

~~~

J'avais passé un long moment le pouce suspendu au dessus du contact de Thomas sur mon téléphone, il n'avait pas répondu à mon premier appel et puis j'avais finalement choisi de ne pas réessayer. Je voulais lui parler de vive voix.

La première lettre et toutes les autres, avaient apporté les réponses à l'ensemble de mes questions. J'étais, pour la première fois depuis longtemps, sûre de moi. J'aimais Thomas et il m'aimait, c'était tout ce qui m'importait.

Je n'attendais plus qu'une chose, le retrouver, une bonne fois pour toutes. Me réfugier dans le creux de ses bras et ne plus sentir que nous deux.

~~~

J'avais finalement réussi à m'endormir mais le destin en avait décidé autrement. Le vibreur de mon téléphone raisonnait dans tout l'appartement. Je devais dormir depuis une heure maximum. Il était 5h24 qui pouvait m'appeler à cette heure bon sang ?!

"Allo ?!"

"Bonsoir mademoiselle, êtes-vous bien Marie ?"

"Oui c'est moi mais qui êtes-vous ? Il est cinq heures du matin !"

"Lieutenant Raymond Fiorantini, de la brigade policière de nuit, on nous a signalé un accident sur la rocade nord, vous étiez la première personne sur le journal d'appel de la victime, un certain Thomas Hending selon ses papiers d'assurance. Je suis désolée mademoiselle mais je vous demanderais de bien vouloir vous rendre à l'hôpital pour procéder à la reconnaissance du corps."

"Quoi ? Qu'est-il arrivé à Thomas ? Il est blessé ?!"

"Je suis désolé mais, votre ami est décédé mademoiselle, toutes mes condoléances."

Le "bip" qui annonçait la fin de l'appel résonnait dans mes oreilles, comme s'il ne s'en irait plus jamais.

Thomas ne pouvait pas être mort, c'était impossible. Il fallait que j'aille à l'hôpital, il avait besoin de moi. J'avais besoin de lui.

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J'étais à bout de nerf, j'allais imploser. Le moindre détail me tendait encore plus qu'auparavant, comme l'insupportable voix de la femme de l'accueil qui m'indiquait l'emplacement de Thomas. Mais elle ne me donna pas un numéro de chambre, mais celui d'un étage. Celui de la morgue.

J'avais couru à en perdre haleine dans les couloirs, les gens devaient sûrement me prendre pour une folle et franchement, c'était le cadet de mes soucis.

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Le médecin m'avait amenée dans une salle pleine de grosse étagères en fer et je refusais d'imaginer ce qui se trouvait à l'intérieur de leurs larges tiroirs.

Pourtant, quand il leva la bâche blanche qui recouvrait une table installée un peu plus loin et laissa la tête bleutée de Thomas apparaître, un haut le cœur magistral me prit aux tripes. Il était livide, et, son corps sans vie étendu devant moi, j'avais pris conscience que tout s'arrêtait là. Et les seuls mots que j'était parvenue à lui susurrer à l'oreille furent "Merci Thomas, tu m'as changée. Je t'aimerais toujours."

Et je su que rien ne serait plus jamais comme avant.

                      FIN

Tu m'as changéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant