L'exposition prolongée du froid sur mes phalanges m'empêchait de refermer mon poing complètement, si bien que maintenir le ver de vin blanc que j'avais en main m'était compliqué. Seule sur le balcon de mon appartement miteux, je regardais la ville s'endormir autour de moi. Les lumières des appartements disparaissaient les unes après les autres, ôtant tour à tour, un peu de magie au paysage nocturne.
La nuit prenait place, assombrissait chaque trottoir, chaque voiture. Et comme tous les soirs depuis des mois, des années sûrement, ma raison avait cessé de compter il y a bien longtemps, une terrible mélancolie l'accompagnait. Cette même mélancolie que vous rencontrez parfois, en prenant un peu de recul et en vous demandant sincèrement si vous n'avez pas déjà vécu le meilleur. Si vous ne vivez plus que dans le souvenir, dans l'espérance. Mais dans quelle espérance ? Dans quelle attente ? Celle de jours aussi joyeux qu'aux temps de vos insouciances, où tout vous paraissait pourtant si décisif ? Aux fous rires ridicules, aux petites révoltes et aux grandes révolutions ?
Cette mélancolie avait, avec le temps, finis par laisser un goût amer dans ma bouche. Un goût dont même le meilleur sirop ne parvenait pas à dissimuler la sensation.
Mille fois dans ma courte vie j'avais cru vivre des moments incroyables, inédits, presque imaginés. Milles fois j'avais était déçue.
La relation avec ma sœur, de 5 ans mon aînée et plus alcoolique que le sans-abris qui vit en bas de votre immeuble. Ses colères, ses violences, le verre explosé sur le sol, le sang et les larmes. Je suis incapable de me souvenir des rêves de mon enfance, ni même d'en avoir jamais fait à cette époque.
Ma relation avec Maxime, passionnée, secrète, surexcitante. Puis, tendue, triste et monotone. Ma grossesse avait était une période cornélienne, j'étais partagée entre une joie immense devant l'opportunité d'un nouveau départ et la peur terrible de devoir dire adieu à une période toute entière de ma vie.
L'annonce de la mort de Thomas avait était un coup de tonnerre dans mon existence, un électro-choc. Peu de temps auparavant, j'avais passé, dans le secret le plus total, une nouvelle échographie.
Cinq jours avant son décès, précisément, j'avais reçu les résultats. Je portais une petite fille. Son prénom, la couleur de ses yeux, le jour de ses premières dents, m'imaginer tout cela aurait était mon premier réflexe, sans la ligne en italique qui suivait.
"Malformation pulmonaire".
Deux mots, deux mots avaient suffit. Deux mots, et tout mon univers s'était écroulé, était parti en fumée, envolé. J'avais immédiatement pris rendez-vous avec mon médecin généraliste et il n'avait fait que confirmer mes doutes. Le fœtus ne survivrait pas à l'accouchement, les dégâts au niveau de sa cage thoracique étant trop importants.Plus rien n'avait de sens, ni d'importance. Il était impossible d'être certain des raisons exactes de cette malformation extrêmement rare, mais pour moi, c'était une évidence, je ne pouvais pas, ou plutôt je ne devais pas avoir d'enfant. Pas maintenant. Pas dans cette situation, pas dans le doute permanent que j'essayais de masquer tant bien que mal. Je n'étais sûre de quasiment rien à cette époque, ni de mon amour pour Maxime, ni du sien pour moi.
J'étais incapable de me l'avouer, mais avoir cet enfant aurait été la plus grosse erreur de ma vie.
Je n'en ai jamais parlé à qui que ce soit. Je n'ai pas eu besoin de la faire. Après m'être évanouie à l'hôpital, la nuit de la mort de Thomas, il avait fallu me faire opérer d'urgence. Maxime était effondré, je n'arrivais même plus à faire semblant de l'être.
La suite des événements fut catastrophique tant elle fut simpliste. Dispute, rupture, remords. Ma vie n'était plus qu'un grand numéro de camouflage. Ne pas montrer ce que l'on ressens, ne plus parler vraiment. A l'image de mes résultats en cours, mon moral dégringolait, et quand je pensais avoir touché le fond, il y avait toujours quelque chose pour creuser sous mes pieds.
Aujourd'hui j'ai vingt ans. L'âge de la maturité pour certain. Un chiffre comme un autre pour ma part.
Les doigts désormais gelés, je reposais mon verre de vin sur le sol de mon balcon. Souffler une bonne fois pour toutes, enjamber la barrière, faire le grand saut, sentir la vitesse et le vent sur ma peau.
Ce soir j'ai vingt ans, demain je ne serai plus rien.
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Tu m'as changée
Teen FictionMarie est une fille élancée qui croque la vie à pleine dents, jusqu'à la mort de son père. Sa mère ne pouvant pas assurer seule le crédit de leur maison, Marie est obligée de partir à contre-coeur dans un internat pour ses 3 années de lycée et donc...