XLII Coup de Théâtre

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Je retirai ma main de l'emprise du faux Molière, et reculai jusqu'à buter contre un fauteuil. L'homme enleva son déguisement d'hypocrite , et redevint tel le Tartuffe du bateau, cette fois muni d'une grande canne en forme de croix chrétienne.

« Tu es décidément plus perspicace que ce que je pensais... ricana le nouveau chef de l'Illustre Gang. »

Le biker attrapa un interrupteur qui pendait du plafond et l'actionna sans ménagement. Aussitôt, la lumière inonda la pièce dans laquelle j'étais tombée, beaucoup plus chaleureuse qu'une vulgaire tanière de grand méchant. L'étage du bâtiment d'administration avait été récemment réaménagé. Ainsi, les murs étaient recouverts d'une toute neuve tapisserie d'un rouge vif, quand le sol était fait de froides dalles saumonâtres. Je n'observai pour tout mobilier qu'un cercle de miroirs, au centre duquel se trouvait un fauteuil, en plus de ma personne. Tartuffe me demanda un instant d'un furtif geste avant de sortir un plateau de derrière un des miroirs, sur lequel bouillaient deux tasses de thé. L'usurpateur m'en proposa une que je rejetai avec dégoût.

« Relax ! Je ne vais pas te faire de mal. Jamais cette idée ne me viendrait à l'esprit. »

Il prit une gorgée de chacune des tasses, pour prouver leur sanité, mais je les refusai encore, malgré le fait que ma bouche soit totalement sèche après ces rudes combats.

« Fais-moi au moins le plaisir de t'asseoir. »

Sa phrase sonnait comme un ordre, auquel je me pliai malgré moi, les jambes anéanties. Tartuffe sourit de toute sa bienveillance avant de siffler :

« Tu sais... si mon pouvoir me permet de faire mentir le réel, de cacher et déformer, il m'a aussi été fait don de son contraire. Je peux rétablir la réalité là où on a vainement tenté de la déconstruire. Car les mensonges sont la construction de l'homme, et tout ce qui en est croule sous le poids du temps, quand la vérité, fruit de la nature des choses, ne s'altère jamais.

- Où veux-tu en venir ? »

J'avais tenté d'être la plus acerbe possible, de cracher tant de venin que l'innommable sourire du maître-imposteur disparaîtrait à tout jamais. Mais je n'avais pas ce talent.

« Ah... Madeleine. Madeleine, Madeleine, Madeleine. Ici, nous n'avons plus que ce mot en bouche depuis quelques jours. Quel que soit le sujet de discussion, nous en revenons toujours à toi. Puisque toute cette mascarade, ces combats, cette quête... tout cela tourne autour de toi. Toi, et encore toi.

- Je ne comprends pas...

- Vraiment ? Alors commence par te poser les bonnes questions : quel est mon dessein, à moi, génie stratège ? Si tu réfléchis bien, pousser Molière à bout, le forcer à utiliser tous ses mots pour tuer ses propres personnages qui eux-mêmes gâchent son énergie vitale ; tout ça pour que nous nous effacions tous de la réalité ? ... ça n'a pas de sens. Pourquoi aspirerai-je à devenir chef au détriment d'une quasi-immortalité assurée ?

- Oui... ça n'a pas de sens, confirmai-je.

- Exactement ! Exactement ! Oui ! Maintenant, fais le lien : il existe un unique moyen de récupérer les mots qu'on a gâché, qui pourrait tous nous sauver... écrire un nouveau texte. Quelque chose d'autre, faire reparaître la grandeur par les mots, pour que tous les autres reviennent. Molière t'en a parlé un jour. Une tragédie.

- Le Baille-Cœur.

- Tout à fait ! Là est la clé de l'énigme... Madeleine. »


MOLIÈRE BIKER : le soldat des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant