XXXV Aux portes du paradis

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Le van de l'Escouade Éponyme racinienne se gara au parking de l'hypermarché jouxtant notre cible. Les sept combattants de terrain sortirent du véhicule, tandis que Pascal restait dans le fourgon pour assurer nos arrières. Nous nous postâmes en face de la forteresse qu'était devenue MotorHeaven, d'où l'on voyait des dizaines de gardes balayant les alentours munis de projecteurs géants.

Je tournai la tête vers Lully.

« Envoie la musique. »

Jean-Baptiste afficha un sourire carnassier avant que, comme sorti de mille enceintes, un son de guitare électrique transperce la nuit de Lille à Nice.

Je pouvais déjà sentir la curiosité naître dans les oreilles des gangsters lointains. Racine clama :

« J'ai été historiographe de Louis XIV durant de maintes années. Voyons quels tours j'en ai tiré. »

Soudain, le poncho du hippie s'illumina comme une boule à facette d'or, comme une lampe surpuissante, comme un soleil. La lumière se propagea à la peau de Jean, et bientôt le bougre brillait des pieds jusques au bout du joint. Tout cela commença indubitablement à crépiter, à s'étendre, à lancer de sa grandeur partout où l'obscurité baignait le paradis des motards. Les premiers feux d'artifice volèrent de partout, peignant le ciel d'or et d'azur, aveuglant tous ceux qui oseraient nous regarder dans les yeux. Nous nous mîmes en ligne, le regard décidé, amusé ou psychédélique, et fîmes le premier pas. Les autres suivirent comme de raison ; nous progressions vers notre destin, vers les motards, et vers la baston.

La musique était tant assourdissante que je ne m'aperçus qu'on nous tirait dessus qu'au moment où Charles Perrault attrapa une balle de fusil en plein vol, et la croqua comme un ridicule pop corn. Je m'en rendais compte désormais : nous étions sept écrivains contre une centaine de personnages. Sept dieux contre une poignée de mortels.

« Correction, m'interrompit Pascal : Molière a créé pas moins de deux cent quatre-vingt-quatorze personnages uniques, sans compter les autres qui sont des groupes de clones, des troupes. Vous êtes sept contre cinq cents. Amusez-vous bien. »

Ce chiffre m'aurait impressionnée si Jean de La Fontaine ne venait de jeter un caddy cent mètres plus loin et quinze plus haut, frappant dans le mille une mitrailleuse et un motard un peu trop généreux en balles. Nous continuâmes notre marche silencieuse jusqu'à l'entrée du supermarché pour deux-roues, marquée par des pylônes rétractables pour empêcher les gros véhicules de s'introduire dans la cour intérieure du magasin la nuit. Or, minuit avait sonné, et six poids lourds étaient sur le point de défaire toute l'armée de Molière.

Un seul biker nous barrait la route, le seul assez fou pour être resté juste à l'entrée. Pierre Corneille arracha un pylône qui atterrit dans la tête malheureuse du contrevenant. Nous avions pénétré dans l'enceinte de MotorHeaven, face à d'innombrables têtes motardes curieuses.

Une masse compacte d'hommes et femmes tout en cuir, armés de la tête aux pieds, s'agglutina juste devant nous. Ils étaient tous des clones de quatre ou cinq modèles au maximum, certains portant des violons, d'autres des masques, des costumes de paysans. Lully s'avança vers leur meneur, troublé. Il murmura :

« Vous ? Mé ié vous croyé perdou à tout jamé... c'é donc Molière qui avé gardé vostra trace. »

Puis, à nous :

« Cé sont les personnagi des comédies-ballé, ceux que j'ai chorégraphié de ma mano ! C'est à moi dé m'en occouper.

- Fais toi plaisir, souhaita le Racine chatoyant. »

MOLIÈRE BIKER : le soldat des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant