XVIII La carte de la discrétion

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Sans tenir compte de mon cri d'épouvante, Molière accéléra à fond. Le changement de vitesse fut tel que le sol parut s'envoler sous nos jambes. Bientôt, nous eûmes dépassé toutes les réglementations, et dévalions la grande route parisienne à 80 km/h. Ma cuisse était toujours sous l'emprise du motard électrisé, que j'osai regarder l'espace d'un instant... le pauvre se faisait râper par le goudron, millimètre de peau par goutte d'encre. Je gueulai, de la voix la plus aiguë et perçante jamais enregistrée :

« Molière ! Molière ! Molière ! Un mort-vivant ! Molière ! Vite !

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Un motard !

- Oui ! On en poursuit dix !

- Là ! »

Ma mâchoire faillit se décrocher de surprise : le cadavre ambulant remontait le long de la Harley, luttant pour ne pas se décrocher de ma jambe, malgré mes gesticulations. J'hurlai encore plus fort, sans effet. La seconde main du motard carbonisé atteignit ma jupe de cuir, et je fus obligée de m'agripper au cou de Molière pour ne pas être entraînée. Je jappai plus fort encore lorsqu'une balle manqua de m'érafler l'autre jambe.

« On nous tire dessus !

- Je sais ! »

Le dramaturge musculeux positionna son bouclier au devant d'Armande, dans un espace prévu à cet effet. Plus loin en avant, des garçons-tailleurs tiraient à l'aveugle en arrière, au moyen de petits pistolets. Molière ricana :

« Il est temps de découvrir quelles améliorations ce cher Hippolyte a apporté à ma chère Armande... »

Un harpon émergea soudainement de l'avant de la moto, parcourant une vingtaine de mètres avant de revenir bien sagement. Le comédien-metteur en scène-dramaturge pouffa d'excitation tandis que le mort-vivant était remonté à notre niveau, et s'affala sur mes genoux, contre le dos de Molière.

« Qu'est-ce que c'est que cette chaleur moite ? s'enquit l'écrivain.

- Je te l'ai déjà dit ! Un biker mort-vivant !

- Parbleu ! Vire-le ! Vite !

- J'essaie depuis tout à l'heure ! Il s'accroche ! »

Je continuai mes tentatives de délogement de cadavre tandis que les balles continuaient à jaillir de devant. L'une d'entre elle troua même la tête du motard carbonisé, qui n'en fut même pas gêné. Le harpon fut relancé et atteignit une moto en plein dans le phare arrière, qui resta suspendu au crochet.

Le mort-vivant se tordait inhumainement, s'apprêtant à étrangler mon biker préféré. Je tentais de l'en empêcher, mais tous mes coups étaient bloqués contre une surface invisible et immobile. C'est alors que le harpon repartit une troisième fois, sous la commande d'un Molière plus déterminé que jamais, et s'encastra au derrière d'une moto ennemie. Le dramaturge me chuchota :

« Accroche-toi. »

Il freina d'un coup. La bécane reliée à Armande se souleva dans les airs, incontrôlable, et s'écrasa sur son conducteur interloqué, dont la tête fut éclatée, et le biker cuit partit soudainement en arrière, pour retomber tout aussi platement (ce qui ne suffisait pas pour le tuer). Satisfait, Molière détacha le harpon qui vint docilement se ranger, avant de repartir à vive allure.

« Qu'est-ce que c'était ? M'inquiétai-je.

- Le maître de philosophie, aussi appelé Ultimate Rémi. Il ne meurt pas tant que son esprit est intact. Tu peux imaginer à quel point j'étais invincible quand j'étais encore en possession de cette aptitude.

MOLIÈRE BIKER : le soldat des motsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant