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Un mois s'était écoulé depuis ma grande décision et pourtant tant de choses avaient déjà changé autant pour moi que pour elle.

Je m'étais installé dans un petit studio en ville pas loin de chez Camille, qui y venait d'ailleurs passé plusieurs heures chaques semaines, je m'étais trouvé un travail à mi-temps dans un café où je passais plus de temps à faire la vaisselle qu'à servir les clients.

Je prenais également des cours par correspondance: science, littérature, géographie. Le monde me passionnait et il y avait tellement de chose à découvrir que je n'étais pas prêt de m'arrêter à étudier. Mais je vouais une attention particulière aux langues. Je connaissais déjà le français, le chinois et l'anglais mais j'avais commencé à apprendre l'italien et le russe et mourait d'envie d'apprendre l'allemand, le portugais, le japonais et bien d'autres encore.

Camille voulait me convertir au monde de l'art par la peinture et la musique mais peut être étais-je encore trop terre à terre pour comprendre ce déferlement d'émotions que les œuvres voulaient exprimer.

Ce weekend, Camille avait décidé de m'emmener découvrir les falaises d'étreta. Et je dois avouer que je n'étais pas déçu. Nous avions espéré pour un temps clément et un ciel dégagé en cette fin de printemps, mais au lieu de ça nous avions eu le droit à une symphonie de tonnerre et un spectacle d'éclair au dessus de la mer. La foudre faisait éclaté des flashs de lumière intense dans les nuages gris qui se déplaçaient au dessus de la mer sombre.

Le spectacle était magnifique, pourtant je ne pus m'empêcher de regarder les cheveux de Camille virevoltant avec le vent en désordre.

Camille, qui sentait mon regard posé sur elle depuis plusieurs secondes, me lança un sourire gênée. Elle n'aimait pas quand je la fixais, cela la mettait mal à l'aise.

- Ecoute Dieu au lieu de me fixer comme ça, dit-elle un sourire en coin, gardant les yeux fixés sur l'horizon.

- Je l'écoute, lui répondis-je calmement.

- D'ailleurs, tu ne m'as jamais dit si tu croyais en Dieu ?

Sa curiosité était plus forte que l'admiration qu'elle avait pour ce spectacle de son et lumière. Je hochai les épaules ne sachant pas vraiment quoi lui donner comme réponse.

- Je ne serais pas humain si le doute ne faisait pas parti de moi, lui répondis-je utilisant la phrase qu'elle m'avait dit un mois plus tôt.

Un sourire franc se peignit sur son visage blanc. Elle me saisit par le col de mon long manteau noir et m'attira à elle pour enfin m'embrasser.

Sur le chemin du retour, dans le car qui nous ramenait chez nous, Camille était silencieuse, concentrée sur un dessin qu'elle faisait. Le dos appuyé contre la vitre et les jambes allongées sur les miennes, elle avait sorti ses crayons de couleur et ses feutres. Je ne la déconcentrait pas pourtant j'avais une envie folle de découvrir son dessin. C'est une surprise m'avait-elle dit.

Le weekend suivant, elle me rejoignit au studio, m'embrassa rapidement puis saisi un clou et un marteau. Sur le grand mur blanc en face de mon lit-canapé, elle commença à l'enfoncer sans ménagement.

- Attends, qu'est-ce que tu fais? M'exclamé-je. Mon propriétaire va se fâcher!

- Ça va, ce n'est rien, c'est juste un micro trou dans un immense mur, répondit-elle nonchalament en allant chercher un immense cadre. Ferme les yeux, m'ordonna-t-elle.

Je sentais dans sa voix qu'elle était tout excitée par la surprise qu'elle me faisait et je l'étais aussi alors je m'exécutais.

Quelques secondes plus tard, à peine, elle se plaça derrière moi, déposa tendrement ses mains sur mes yeux et me fis avancer au milieu de la pièce.

Lorsqu'elle souleva ses mains, mes yeux tombèrent sur l'immense tableau qu'elle avait réalisé. Je reconnaissais sa touche de peinture qui la représentait si bien: un peu fou et virevoltant mais toujours avec une intensité grave et profonde.

Le tableau représentait une scène que je reconnu immédiatement. Les éclairs, les nuages gris en fond et le ciel bleu qui tentait de se faire une place en haut à gauche. La mer d'un vert très sombre qui s'éclatait sur les failles de calcaire et devant, dans l'herbe folle, près du gouffre deux amants qui se tenaient bras dans les bras, débordant d'amour ou de désespoir, on ne savait pas trop à première vue.

La peinture me laissa sans voix. Je sentais un sentiment violent en moi, un désir, une chaleur, une bienveillance. Cela me faisait à la fois peur et à la fois envie de la sentir pour le restant de ma vie.

C'est à ce moment que je compris que j'étais amoureux de cette vie.

J'étais amoureux de ce tableau.

Et j'étais amoureux de cette fille.

Ange GardienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant