Chapitre un

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Ce matin-là, Alexane fut réveillée par le soleil. Elle aimait se lever tôt, pour être seule à choisir son chemin avant que sa tante ne vienne tout gâcher. Elena de Blois, sœur d'Elisa de Blois, s'était attribué le devoir de veiller sur la fille du comte en son absence. Du soir au matin et du matin au soir, elle ne pensait qu'à deux choses: obtenir un moyen qu'Alexane lui obéisse, et trouver un époux à cette dernière. Mais, dénicher un bon parti pour cette jeune marginale n'était pas chose facile. Levée depuis l'aube, la jeune fille prit un rapide repas puis monta dans sa chambre afin de travailler son latin, toujours dans l'espoir d'égaler son père. Le silence régnait dans la pièce lorsque Madame de Blois, sa tante, y fit irruption.

« Alexane ! s'écria-t-elle offusquée, De quelle manière vous-êtes-vous donc encore vêtue ?! »

La jeune fille, qui refusait l'aide d'une quelconque servante, avait revêtu des habits empruntés à son père.

« Dois-je me vêtir d'une robe même lorsque vous ne me voyez point ? répondit la jeune fille.

- Votre mère serait étouffée par la honte si elle vous voyait ainsi ! Pourquoi tenez-vous tant à vous habiller comme un homme ?!

- Père vous a demandé de ne pas parler de Mère ainsi. Pour ce qui est de ma tenue, ma dernière robe est décousue, répliqua Alexane en plongeant sa plume dans l'encre.

- Si vous arrêtiez de vous promener dans les bois, vos robes s'abîmeraient moins vite...

- "Me promener dans les bois", répéta Alexane. À vous entendre, on dirait que je vais aux lauriers*.

- Comment avez-vous appris à vous exprimer ainsi ?! Votre père serait...

- Père n'est pas là ! cria Alexane en se tournant vers sa tante, et je vous interdis de parler en son nom !

- Que diable avez-vous ?!

- Je suis allée au bois, hier, afin de trouver herbes et plantes pour soigner les chevaux. Nous aurions perdu la moitié de l'écurie sans cela ! M'est-il possible d'étudier sans que l'on vienne m'interrompre pour des choses aussi futiles que ma garde-robe ?

- Si vous étiez moins insolente, vous auriez déjà un mari.

- Je ne veux pas de mari. Je veux seulement être moi !

- Comment ?!

- Votre flux de paroles incessant m'insupporte au plus haut point, madame. Je préfère me retirer, dit Alexane en quittant la pièce.

- Où allez-vous ?

- Puisque les bois me sont interdits, je vais à la rivière.

- Pas vêtue de la sorte, j'espère !

- Préféreriez-vous que j'y aille en robe de chambre ? »

Sans prendre la peine d'écouter la réponse, la fille du comte partit chercher un cheval pour se rendre à la rivière. Peut-être pourrait-elle y étudier en paix ?

Alexane avait l'habitude d'aller se prélasser à la rivière quand la présence de Madame de Blois devenait insupportable. Souvent, elle y retrouvait Agnès de Lamotte, fille du comte de Lamotte, pour laquelle elle portait une forte amitié. Peu de temps après qu'Alexane soit parvenue à la rivière, Mademoiselle de Lamotte arriva à son tour.

« J'aurais aimé voir l'expression de votre tante lorsqu'elle vous a découverte ainsi vêtue, s'amusa-t-elle.

- Elle n'a guère apprécié, lui fit savoir la jeune fille. Comment allez-vous ?

- Bien, et vous ?

- Ma foi, plutôt bien. »

Alexane regarda son reflet dans le cours de l'eau. Cela lui rappela un instant le mythe de Narcisse, que son père lui avait raconté dans sa jeunesse.

« Votre père est-il rentré ? demanda-t-elle avec mélancolie.

- Malheureusement non, ma chère amie... Et le vôtre ?

- Non plus. Le Prince de Condé n'aurait-il point pu nous renseigner sur la durée de ces conflits avant de nous arracher nos pères ?

- Le monde n'est pas une utopie, ma chère Alexane. La fin des conflits n'est point prévisible.

- Vous avez raison, comme toujours, ma bonne amie. Toutefois, je me demande quel est ce conflit qui demeure à Paris. Il me semble bien long...

- Je ne crois pas me souvenir que la durée des conflits vous ait si souvent perturbée auparavant. Que se passe-t-il en ce jour ?

- Mère est décédée la dernière fois que la présence de mon père a été requise pour je ne sais quel conflit; la peur me vient que le sort s'acharne sur notre famille.

- Vous m'en voyez désolée.

- Vous êtes bien aimable, Agnès. Si vous voulez bien m'excuser, ma chère amie, je dois retourner au château. Tante a prévu pour moi je ne sais quelles choses pour cette journée, elle m'a donc ordonné de ne point rentrer tard.

- Bien, je pensais rentrer de même. »

Alexane détacha sa monture de l'arbre où elle était accrochée, et monta. Après un sourire à son amie, elle partit au galop afin de rentrer plus vite au château.

Une fois arrivée, elle n'eut à peine le temps de mettre pied à terre que Madame de Blois la sollicitait déjà.

« Que diable avez-vous fait pendant si longtemps ? Cela fait plus d'une heure que le couturier attend afin de recoudre votre garde-robe.

- Ce n'est point grave, je mettrai un pantalon. Dites au couturier de vaquer à ses occupations.

- De nouveau, ces idées futiles ?!

- Oui, madame. Est-ce mon destin de rester au château du soir au matin pour une robe sans importance ?

- Que voulez-vous dire ?

- Ma vie ici n'a aucun sens. Je veux partir, je veux rejoindre père ! Je suis aussi instruite que lui. Je connaissais les constellations à trois ans et le latin à six, je sais monter à cheval! Pourquoi diable devrais-je rester là à écouter vos réprimandes ?!

- Assez ! s'emporta la femme, cinglant la joue de la jeune fille. N'avez-vous donc pas honte de dire de telles idioties ?! Une femme au combat ? Ma pauvre enfant, vous perdez la tête !

- Que le diable vous crache au cul, madame ! lui rétorqua Alexane, ce qui lui valut un nouveau soufflet.

- Votre père ne vous a-t-il donc point enseigné le respect ?

- Si, et il m'a enseigné à quelles personnes je devais l'appliquer. Et en effet, je n'ai guère envie d'en faire usage en ce moment.

- Petite idiote ! Est-ce votre père qui vous a appris à penser ainsi ?! À avoir des idées aussi futiles ?

- Sachez, madame, que Père m'a enseigné le respect et autres valeurs primordiales. Toutefois, il est de ma seule volonté d'en faire usage. Vous devriez arrêter de me considérer en tant que fille de Père. Il est vrai que je suis sa fille, néanmoins, en ma personne, c'est moi qui m'exprime et non lui. Vous devriez méditer cela pendant votre journée totalement dénuée d'intérêts.

- Sale petite mal élevée !

- L'éducation que j'ai reçue de Père et Mère ne vous concerne en aucun point. Maintenant, si vous le voulez bien, j'aimerais étudier mon latin. »

La jeune fille partit dans sa chambre sans même laisser à sa tante le temps de répondre.

Notes:

*À l'époque, il n'était pas rare de trouver dans les bois des maisons de prostitution. Elles arboraient au-dessus de la porte une branche de laurier, pour être identifiables. Elles subsistèrent jusqu'au règne de Louis XIV (soit bien plus tard), qui fit fermer ces maisons.

(Et oui, la chanson "Nous n'irons plus aux bois, les lauriers sont coupés..." signifie en fait "Nous n'irons plus dans les maisons closes car cela est maintenant interdit.")

Chapitre corrigé par Mme PDM

Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant