Chapitre vingt

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Les Chabannes, se rendant bien compte qu'ils ne pouvaient pas rentrer en Quercy car leurs maigres ressources ne suffiraient pas à un si long trajet; avaient erré plusieurs jours dans les bois. Ils se décidèrent à se réfugier quelques temps à Paris à l'auberge de la Devinière, dont le propriétaire était un vieil ami du comte. L'établissement n'avait plus de chambres libres, cependant l'amitié qu'avait le patron pour François le poussa à trouver une solution. Il proposa aux deux voyageurs une petite pièce de l'auberge qui servait de débarras, où il fit poser deux lits de paille. Le comte remercia platement son ami, soulagé d'offrir un toit à sa fille après plusieurs nuits dans les bois.

Quelques jours s'écoulèrent. Comme ils avaient peu d'argent, ils aidèrent aux écuries, aux ménages et autres tâches dans l'espoir d'y gagner une petite piécette. Ils avaient dans l'idée de rentrer en Quercy dès qu'ils auraient assez de ressources pour faire le voyage. Pourtant, bien que le confort de son château lui manquait, Alexane était peu enthousiaste à l'idée de retrouver sa tante...

Durant ces journées de labeur, François n'avait guère parlé à sa fille et, de la même façon, Alexane ne savait que dire à son père. Elle aurait voulu le rassurer, lui dire que ce n'était pas grave, mais était-ce vraiment le cas ? Elle avait vu son père, l'homme qu'elle considérait depuis toujours comme le plus sage et le plus résistant au monde; être brisé avec une si grande facilité qu'elle avait maintenant peur qu'un seul mot puisse le faire sombrer.

À la capitale, tout était anormalement calme, à tel point que la jeune femme eut du mal à croire qu'il s'agissait de la même ville que celle où s'était déroulé le mariage du roi, il y a plusieurs mois de cela. Les affrontements entre catholiques et huguenots se faisaient rare, sans qu'aucune trêve soit signée. Il y avait même des rumeurs disant que Madame* allait dans peu de temps épouser le roi de Navarre, souvent désigné comme le chef des huguenots. Ainsi, cette union d'une princesse catholique avec un roi huguenot signerait la paix entre les deux camps. Cette paix, Alexanne la souhaitait depuis longtemps, et bien que son annonce fut inopinée, elle souhaitait y croire, croire qu'un jour enfin elle rentrerait chez elle, son père toujours vivant à ses côtés...

Au cours du temps la rumeur se révéla être une vérité : Au Louvre, tout le monde préparait les noces de Marguerite; et le roi de Navarre fit de nombreux envieux. Une foule considérable de personnes, catholiques comme réformées, vint à Paris dans l'espoir d'assister à la cérémonie qui unirait Marguerite de Valois et Henri de Navarre. Celle-ci eut lieu le 18 août, et la fête en honneur de ce mariage si grandiose fit grand bruit dans Paris et cela pendant plusieurs jours.

Par la suite, un autre événement bouleversa toute la capitale: l'Amiral de Coligny, très connu parmi les réformés, fut gravement blessé dans ce que l'on supposa être une tentative d'assassinat. Cependant, personne n'ayant pu reconnaître le coupable; et comme le bruit courait que le roi avait accueilli le blessé à bras ouvert et avait demandé au grand Ambroise Paré, son médecin, de le soigner; on ne pouvait accuser les catholiques.

Une nuit, cependant, alors que toute l'auberge était plongée dans le noir, un immense bruit, comparable à une porte qu'on enfonce, tira Alexane de son sommeil. Elle vit sous la vieille porte du débarras une lumière beaucoup trop vive pour l'heure. Des gens hurlaient des propos que la peur ne permettait pas à la jeune femme de comprendre. Les éclats de voix réveillèrent le comte qui eu comme réflexe de prendre en main son épée. La demoiselle fit de même, cependant elle tremblait de peur, ce qui rendait la pratique compliquée. Dans la pièce mitoyenne, on se serait cru sur un champ de bataille. Le souvenir de la mort d'Elisa revint à la jeune femme. Tant de bruit, tant d'agitation, si soudainement... « Père nous devons partir ! » lança-t-elle. Au même moment la vieille porte claqua comme si l'on essayait d'en forcer l'ouverture. « À mort les Huguenots ! » hurla un homme de l'autre côté. Le verrou n'allait pas tarder à céder. Alexane chercha du réconfort dans les yeux de son père: elle n'en trouva aucun. Le comte avait aussi peur qu'elle.

La seule issue possible était une petite porte, à première vue condamnée, qui reliait le débarras à l'écurie. Le comte tenta de l'ouvrir mais le verrou, rouillé, l'en empêcha. Alors que les cris s'intensifiaient, il parvint finalement à briser la serrure. « Allons nous en ! » murmura-t-il à sa fille. Cette dernière était immobile, pétrifiée de peur. Il la prit par le bras et tira son enfant hors de débarras, juste au moment où l'autre porte cédait. Ils traversèrent l'écurie en courant.

« Que se passe-t-il ?! demanda la jeune femme le visage plein de larmes.

– Taisez-vous, ils vont vous entendre! Ce sont des catholiques...

– Mais la paix a été signée !

– Les traîtres nous ont piégés ! »

Les catholiques en question semblaient plus enragés encore du fait que leurs proies se soient enfuies. « Ils nous suivent à la trace, sanglota Alexane. Nous ne pourrons pas leurs échapper ! »

Tout à coup, un grand fracas retentit. Ils étaient entrés dans l'écurie ! Ils n'auraient pas le temps de s'enfuir. Le comte prit son enfant par le bras et la poussa dans un boxe vide. Plaquée contre le mur, Alexane pria pour que les catholiques ne vérifient pas les boxes. Collé au mur d'en face, son père lui faisait signe de ne faire aucun bruit. Les catholiques fouillèrent rapidement les écuries, et l'un d'entre eux frôla la porte du boxe. Alexane apeurée, retenait sa respiration. L'homme s'éloigna. « Ils ne sont pas là ! Ces sales huguenots se sont enfuis ! Allons-nous en ! » Dans un grand fracas, ils sortirent de l'écurie. La jeune femme lâcha un soupir de soulagement. Après quelques instants, François murmura: « Fuyons ! ». Les deux personnes se levèrent et se précipitèrent vers les grandes portes de l'écurie. En ouvrant celles-ci, la jeune femme ne put retenir un hurlement de terreur. « Morbleu, jura le comte. Les traîtres nous ont eu ! » Dans les rues gisaient des centaines de corps humains, et le sang coulait à flot.

***

Notes:

1. Titre donné à la sœur du roi, ici Marguerite de Valois, la future Reine Margot.


Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant