Chapitre vingt-six

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Le lendemain, les rayons de soleil vinrent réveiller Alexane. En allant à la salle à manger, la jeune femme rencontra le prince. Les deux amis restèrent assez silencieux sur les événements de la veille. Pendant qu'ils mangèrent, Philippe demanda des nouvelles du comte, la jeune femme répondit tristement qu'il n'y en avait aucune. « Son cœur bat encore, dit-elle tristement. C'est la seule chose que je sais.» Cela fendit le cœur du prince, qui, convaincu que tout était de sa faute, ne pouvait se le pardonner. Cela fit aussi réfléchir la jeune femme: plus le comte restait inconscient, moins il y avait de chance qu'il revienne un jour à lui. Le médecin chez Pardaillan avait indiqué à Nicolas comment le nourrir alors qu'il était inconscient pour qu'il ne meure pas de faim, et Alexane s'était approprié cette responsabilité. Mais les bouillons qu'elle lui donnait ne lui semblaient pas très nourrissants. Si seulement il avait pu se réveiller pour manger un peu de viande, ou des fruits pour reprendre de la force ! Il faiblissait à vue d'œil. Elle devait se préparer au fait que son père ne reviendrait sûrement jamais, mais elle tenta de penser à autre chose. Les jeune gens continuèrent à discuter pendant le repas, soudainement le visage du prince s'assombrit.

« Vous m'avez posé une question hier soir, puis-je à mon tour vous en poser une ?

— Bien sûr, répondit la demoiselle un peu inquiète.

— Est-ce que votre père était l'amant de la princesse ? »

Les yeux d'Alexane se remplirent de larmes. « Non.» sanglota la jeune femme.

Après un long moment de silence, elle finit par ajouter:

« Il avait une certaine attirance pour la princesse. Il s'en voulait énormément. Par honnêteté, il avait avoué son amour à la princesse mais elle l'a immédiatement repoussé. Ce sentiment le faisait énormément souffrir, il ne voulait pas vous faire de tort, il vous apprécie beaucoup. Je crois pouvoir affirmer que même si la princesse avait eu des sentiments réciproques, il n'aurait pas agi. »

La jeune femme s'effondra en larmes dans un sanglot elle chuchota:

« Mais tout cela vous le savez, sinon pourquoi nous avoir épargné la nuit de la saint Barthélémy ?

— Parce que... »

La gorge du prince se noua, après tout ce qu'il avait fait subir aux Chabannes, cet aveux serait le dernier clou du cercueil de leur amitié. Avouer l'inavouable ? Cela ne le ferait que paraître un peu plus monstrueux à ses yeux. Peut-être, se disait-il que son père avait raison lorsque celui-ci disait qu'il n'était qu'un bon à rien. Ou bien non, il était très bon pour une chose: faire du mal aux personnes qu'il appréciait, c'était son seul don.

La demoiselle avait bien noté le silence de son ami. Malgré la tristesse et les sanglots, sa curiosité repris les dessus:

« Parce que...? demanda Alexane.

— Non, oubliez. »

Un frisson parcourut la jeune femme. Que pouvait bien être cette raison qui réduisait son ami au silence ?

« Après tout ce que nous avons vécu, vous pouvez tout me dire, au point où nous en sommes... »

Le prince devint blême, il en avait beaucoup trop dit, il ne pouvait plus reculer. Il prit une longue respiration, son cœur s'emballa, ses mains tremblaient.

« Parce que... , répéta-t-il lentement.

— Oui ? » s'inquiéta Alexane.

Chaque mot prononcé lui était douloureux.

« Parce que je vous aime. »

La mâchoire du prince tremblait, il baissa le visage, honteux. Le sang d'Alexane se glaça, son cœur résonnait fortement dans sa poitrine.

« Comment ?! demanda fébrilement la jeune femme.

— Je vous aime. Et cela depuis longtemps. »

Il prit sa tête dans ses mains, trop faible pour affronter le regard de son amie. « Je suis un monstre de vous dire cela après tout le mal que j'ai causé, dont mon impardonnable erreur d'avoir penser que votre père, mon ancien maître, mon ami, pouvait était l'amant de la princesse ! Je me déteste, vous devriez me haïr et pourtant vous êtes là... Vous êtes une sainte et moi... Rien. Je ne devrais même jamais avoir eu la chance de vous connaître.

Qu'est-ce que l'amour? Je ne sais. Ma première femme, que mon père a souhaité me faire épouser, m'a été infidèle avant même le mariage. Marie m'a été infidèle, et pourtant je l'ai aimée. L'amour n'a jamais été mon allié mais maintenant tout cela semble encore différent. »

La demoiselle écoutait silencieusement comme si le choc l'avait rendue muette.

« Il me semble, continua Philippe, avoir entendu le comte dire que l'amour était la plus incommode des choses. Vous même l'avez d'ailleurs répété pas plus tard qu'hier. C'est peut être vrai. Votre absence m'est douloureuse, votre tristesse une rapière dans mon cœur. Cent fois j'ai voulut me tuer après tout le mal que je vous ai causé. Et si c'est cela, l'amour, peut m'importe. Je trouve cela magnifique. Magnifique d'aimer quelqu'un au point que ses peines deviennent les siennes.

La journée suivant cette sanglante nuit, je n'ai cessé de me haïr. La nuit était sombre mais tout était, pour moi, clair: je vous aime et si quelqu'un devait mourir cette nuit c'était moi et non vous.

J'aurais aimé y mourir, pour être sûr de ne plus jamais vous blesser... Je suis désolé. »

Alexane regarda tendrement le prince, il lui semblait être un vieil ami et un inconnu. Elle ne l'avait jamais vu ainsi, le prince ne souriait plus, le masque était tombé, laissant entrevoir les douleurs et secrets cachés. Les aveux du prince l'avaient extrêmement touchée, elle ne savait quoi répondre. Elle tenta pourtant de parler mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle ne parvient à dire qu'une seule chose:

« J'ai besoin de temps, souffla-t-elle fébrilement.

— Je n'en ai que trop. » répondit le prince sans oser lever son regard.

Il se leva, les yeux plein de larmes, il tituba vers la porte avant de répéter une dernière fois: « Je suis désolé. » Puis il disparut de la pièce.

Alexane resta un temps seule dans la pièce, perdue, repassant dans sa tête les paroles du prince. Le prince l'aimait ? Mais savait-elle seulement ce qu'était l'amour ? Elle était devenue blême, ses mains tremblaient. Elle voulut se lever mais dû s'appuyer à la table car ses jambes ne la soutenaient plus.

Sortant à son tour de la pièce, elle chercha du regard son ami mais il avait comme disparu.

Tremblante, elle arpenta les couloirs jusqu'à sa chambre où elle s'effondra sur le lit, perdue dans ses pensées. 

Corrigé par MmePDM

Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant