Chapitre quinze

107 16 0
                                    

    Cette nuit-là, Alexane eut bien du mal à dormir. D'une part parce que la tristesse et la peur ne la quittaient pas, et d'autre part, parce que des cris avaient résonné dans toute la demeure et n'avaient cessé qu'au milieu de la nuit.
Ces cris venaient de la chambre du prince. Ce dernier trouvait mauvais que sa femme se fût trouvée dans ce bateau; il lui semblait qu'elle avait reçu trop agréablement ces princes. Et ce qui lui déplaisait le plus était d'avoir remarqué que le duc de Guise l'avait regardée attentivement. Il en conçut dès ce moment une jalousie si furieuse qu'elle le fit ressouvenir de l'emportement qu'il avait témoigné lors de son mariage, et il eut soupçon que, dès ce temps là, il en était amoureux.
Il s'emporta avec des cris, des gestes violents... Elevé par la haine et les coup de son père, le pauvre prince n’avait jamais été aimé de celui-ci. L'adulte brisé qu'il était devenu ne savait pas ce que c'était d'aimer et d'être aimé. De là découlait un homme maladroit en amour, la faute à son enfance misérable.

En sortant de la chambre de son épouse, le prince, triste à en mourir, s'enferma dans sa propre chambre. Alexane avait reconnu la voix de Philippe. Elle vérifia que le duc de Guise ne traînait pas dans le couloir pour lui faire la peau, puis elle sortit de sa chambre à pas de loup.
Doucement et le plus silencieusement possible, elle toqua à la porte de la chambre du prince.

« QUOI ENCORE ?! hurla-t-il.

– C'est Alexane. J'ai entendu des cris, je souhaitais seulement savoir si tout allait bien... »

Il y eut un court silence, un bruit de serrure et la porte s'ouvrit.
Le prince apparut. Son visage était semblable à celui qu'il avait lors de leur rencontre dans la chapelle.

« C'est votre père qui vous envoie parce que je l'ai ignoré quand il m'a dit que tout le monde aurait pu m'entendre ?

– Non, je viens comme amie, le rassura Alexane calmement. C'est une nuit bien triste, pour vous et moi... »

Le prince sembla acquiescer, et s'assit sur son lit. Il prit sa tête dans ses mains, puis relevant le regard, avec un sourir enragé, il affirma :
« J'aimerais tant le tuer !

– Qui cela ?

– Mon cousin, Guise ! »

A l'entente de ce nom, Alexane sourit tristement, le regard bas.

« Je suis désolé pour votre mère…

– À vouloir dire la vérité, je crains d'avoir attisé la colère des Guise... » répondit Alexane.

Philippe parut à son tour profondément triste, et la jeune femme en fut fort touchée.

« Si, à vos yeux, je suis bel et bien une amie, sachez que vous pouvez tout me dire…

– Henri a beaucoup trop de sympathie pour mon épouse ! s’exclama avec rage le prince.

– Ne sont-ils pas amis depuis l'enfance ? Peut-être n'est-ce après tout que de l'amitié…

– Non ! Elle m'est infidèle, j'en suis sûr ... Elle me croit aveugle, mais il n'en n'est rien ! »

Alexane ne sut que répondre. Fallait-il dire la vérité ou continuer à l'étouffer ? Elle n'en savait rien. Elle regretta l'absence de son père, dont la justesse des mots aurait été d'une grande aide. Après un long silence, elle répondit:

« Vous ne croyez pas en l'amitié ? Mais, dans ce cas, que dire de nous ?

– Nous ? Que voulez-vous dire ?

– Ne suis-je pas ici, dans votre chambre, en pleine nuit ? Et pourtant, nous ne sommes qu’amis, n’est-ce pas ?

– Bien sûr ! s’empressa de répondre le prince.

Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant