Chapitre onze

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Rien ne put réconforter Alexane, qui s'enferma dans la chambre. Durant les jours qui suivirent, elle n'en sortait plus, ne parlait plus et ne venait plus manger. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle réagissait comme ça. Après tout, sa mère était morte... Son père n'était donc pas infidèle. Mais Marie était la femme d'un autre, en l'occurrence celle du prince, son ami. "Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain." N'était-ce pas un des dix commandements ? De plus, la princesse en aimait un autre, le duc de Guise, et s'exposait donc déjà au danger.

La jeune fille se résigna. Elle ne pouvait pas empêcher l'amour de son père, mais pouvait tout de même espérer que la réaction de la princesse ait calmé les passions de celui-ci. Alexane sortit enfin de la chambre, et alla trouver son père. Ce dernier pensa d'abord qu'il s'agissait de la princesse qui venait, encore une fois, lui demander de corriger une lettre qu'elle souhaitait envoyer à Guise. Quelle ne fut pas sa surprise en voyant arriver sa fille ! Elle entra dans la pièce, évitant son regard.

« Père, veuillez excuser mon comportement, il était déplorable. Comprenez que...

– Que... ? demanda François, étonné par le prompt rétablissement de sa fille.

– Que Mère me manque. Vous voir en aimer une autre me rappelle qu'elle ne reviendra jamais... C'est puéril, j'en suis désolée. »

Le comte se leva et posa ses mains sur les épaules de sa fille. Cette dernière releva le regard. « Alexane, mon enfant, ce n'est point puéril. Elle me manque aussi, chaque jour que Dieu fait. » La jeune fille ne sut que répondre. Cependant, son père avait regagné sa confiance.

« Pouvez-vous n'en rien dire au prince ? Je ne sais ce qui arriverait si il venait à savoir ceci...

– Bien, père. Mais comprenez que je ne saurais lui mentir. Le mensonge est un péché, et si il arrive qu'un jour il m'interroge, je lui dirai la vérité.

– Merci. »

Le silence reprit. Alexane s'assit sur le lit et demanda :

« Père ?

– Oui ?

– Est-ce que les huguenots...

– Les protestants corrigea Chabannes.

– Comment ?

– Protestants... Nous sommes protestants.

– Nous autres protestants... Croyons-nous au paradis ? interrogea Alexane avec innocence.

– Bien sûr.

– Et pensez-vous que mère y soit ? »

Le comte regarda sa fille droit dans les yeux.

« J'en suis sûr, Alexane.

– Et pensez-vous qu'elle me regarde ?

– Oui.

– C'est comme si elle était encore là, donc ?

– Oui, elle veille sur vous affirma-t-il en embrassant sa fille.

– Je suis sûre qu'elle veille sur vous aussi. »

La jeune fille sécha ses larmes et sourit à son père. Elle s'apprêtait à sortir de la pièce, mais s'arrêta sur le pas de la porte. « Père, je dois vous dire: Je sais aussi pour le duc de Guise et la princesse. Nul besoin de vous cacher. » Elle gloussa et partit. Cependant, elle entendit tout de même le comte lui répondre avec ironie: « Vous savez beaucoup trop de choses ! »

Les jours passèrent et Alexane sourit de nouveau à la vie. De son côté, la princesse avait rejeté l'amour de Chabannes et fit mine d'avoir tout oublié dès le lendemain de l'aveu.

À Champigny, les nouvelles de la capitale étaient rares. Elles environ parvenaient une fois par semaine, mais ne changeaient quoi qu'il en soit que très peu: les combats continuaient et ne semblaient jamais s'arrêter. C'était devenu une habitude pour Alexane et Marie d'aller prendre les nouvelles à chaque passage du colporteur. Ce matin-là ne fut pas exception. Les deux jeunes femmes achetèrent le feuillet de nouvelles, et en remontant au château, Alexane commença la lecture . Quand elle vit un nom qui lui était familier, elle laissa apparaître un léger sourire.

« Qu'avez-vous lu pour sourire ainsi ? s'étonna Marie.

– "Le prince Philippe de Montpensier tient la bannière de Condé. Le duc de Guise, qu'on a vu sans cesse au plus fort des combats, a été crucial à cette victoire." lut la jeune femme. Ce qui veut dire qu'il sont vivants ! »

La princesse, en entendant le nom d'Henri, rougit.

« Il paraît bien, madame, que vos sentiments d'autrefois ne sont pas aussi éteints que ce que vous disiez, fit remarquer Alexane.

– Différents, répliqua Marie. J'éprouve de la joie à constater les mérites d'un homme qui justifie par ses exploits l'inclination que j'ai eue pour lui.

– Vous l'aimez toujours ! s'exclama Alexane, qui ne croyait pas un mot de ce discours.

– Plus que tout au monde. »

Les deux jeunes femmes sourirent et rentrèrent au château. Alexane ne savait si elle devait faire part des nouvelles à son père. Certes, son ami le prince de Montpensier était encore en vie, mais monsieur de Condé, au service duquel le comte s'était longtemps battu, venait de tomber sous la menace des catholiques. Elle décida tout de même de lui annoncer la nouvelle.

Le comte avait lui aussi des nouvelles, nettement moins bonnes: Le prince de Montpensier avait parlé de lui à la cour, comme il l'avait promis, le présentant comme le plus honnête des hommes. Ce n'était, d'après lui, pas un traître, mais un homme revenu dans le droit chemin; celui des catholiques. (Montpensier avait quelque peu modifié les faits, il est vrai.). Mais voilà, le duc d'Anjou, frère du roi Charles IX, souhaitait rencontrer le comte de Chabannes afin d'en juger de ses propres yeux. En d'autres termes, le père d'Alexane était appelé à rejoindre le champ de bataille pour rencontrer le duc.

« Vous n'allez pas obéir ?! sanglota sa fille. Vous vous êtes retiré de la guerre, vous ne supportiez plus ces atrocités ! Pourquoi y retourner ?

– C'est un ordre du duc d'Anjou, je ne peux qu'obéir. Sachez bien que cela me déplait.

– Alors vous partez vraiment ? s'enquit tristement la princesse.

– Oui, répondit le comte. Je ne puis désobéir au frère du roi.

– Nous allons être bien seules en votre absence... Que vais-je faire sans vos leçons quotidiennes ?

– Il faudra écrire, madame, donner des nouvelles. C'est tout ce qu'attend votr époux.

– Mais, vous absent, je ne saurai quoi dire qui l'intéresse ! avoua Marie.

– Vous ! Tout ce que vous direz l'intéressera.Votre santé, vos lectures, ce que vous faites de vos journées, les étoiles que vous contemplerez la nuit... Il regardera les mêmes.

– Il ne les connaît pas, les étoiles, rétorqua la princesse.

– Moi je les connais. Je les lui montrerai. »

En se tournant vers Alexane, il ajouta:

« Et vous, ma très chère enfant, tâchez de vous bien tenir en mon absence. Soyez plus sage qu'avec madame votre tante.

– Oui, Père. » promit la jeune fille, qui se faisait violence pour contenir ses larmes.

Le comte monta sur son cheval, s'apprêtant à partir rejoindre son ami et rencontrer le duc. Il regarda une dernière fois la princesse et lui lança :

« Ecrivez !

– Mais où ? Et comment ? répondit Marie.

– Demandez au bailli qu'il vous accorde quelque messager. Le prince sera auprès du duc d'Anjou. On sait toujours où est le duc d'Anjou ! »

À ces mots, il éperonna sa monture et partit au galop, laissant la princesse et Alexane seules au château.   

Chapitre corrigé par MmePDM

Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant