Chapitre deux

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Alexane était restée dans sa chambre pour le reste de la journée. Elle n'avait pas étudié le latin, et n'avait pas non plus daigné quitter son lit durant de longues heures. Le soir venait de tomber lorsqu'une servante frappa à sa porte.

« Mademoiselle ? demanda la domestique.

- Vous pouvez entrer, répondit Alexane.

- Une lettre pour vous.

- De qui me vient-elle ?

- Je ne sais point, Mademoiselle, je ne me suis pas permis de l'ouvrir.

-Merci, vous pouvez disposer.

- Bien. »

Alexane ouvrit la lettre. Elle ne l'avait pas encore lue que les larmes lui montèrent aux yeux: Elle avait reconnu l'écriture de son père. Cela faisait plus de six mois que la jeune fille n'avait pas eu de nouvelles; ce fut une émotion si forte qu'il fallut à la fille du comte patienter un instant avant de pouvoir la lire.

Alexane, ma très chère enfant.

Je suis fort navré de ne pas vous avoir écrit plus tôt; les conflits sont rudes et ne m'en laissaient jusqu'ici point le temps. Comme vous pouvez le constater, je me porte bien; nulle attaque n'a eu raison de moi. Cependant, les affrontements ne faiblissent point et je crains que cette guerre ne dure encore une éternité. Il était certes dans notre intérêt de nous battre au côté des huguenots; cependant il m'est parvenu que le prince de Montpensier, dont je vous eus souvent parlé, se bat en faveur des catholiques. Je ne souhaite point vous ennuyer de nouveau avec mes histoires, mais je ne peux me résoudre à être opposé en quelque chose à un homme qui m'est si cher. Peu m'importe le parti dans lequel je combats, je trouve les motifs de cette guerre déjà bien assez futiles. Je pense de plus en plus à m'en retirer. Toutefois, une part de mon être souhaite continuer dans le but de venger votre mère. Je sais que cela est puéril et il me semble déjà vous voir avec un sourire amusé mais -vous le savez peut être- l'on est bien faible quand on est amoureux, et je n'échappe pas à la règle, bien qu'Élisa ne soit plus des nôtres. J'espère que vous continuez à étudier, même en mon absence, et que vous ne vous servez pas de celle-ci pour oublier vos leçons. J'aimerais tant être près de vous, mon enfant, il ne peut se passer une journée sans que je ne pense à vous.

J'espère vous revoir bientôt.

Votre père,

Le comte de Chabannes.

Les larmes montèrent aux yeux de la jeune fille; elle ne pouvait accepter que la guerre la prive de son père pendant encore longtemps. Elle resta immobile, serrant contre son cœur sa lettre comme s'il s'agissait du seul lien qui les réunissait. Il lui était impossible d'imaginer que ce conflit puisse durer plus longtemps. Et si son père y périssait comme sa mère auparavant ? Elle ne savait que faire.

Le soleil finit de se coucher, et la servante revint prévenir la jeune fille qu'il était l'heure du souper. Avant de rejoindre sa tante et son oncle pour le repas, elle prit le plus grand des soins à essuyer son visage pour qu'on ne puisse point voir qu'elle avait pleuré. La pièce semblait bien vide. À la table, seulement trois chaises pour Alexane, Madame de Blois et son mari.

« Diable, vous aviez raison ! dit ce dernier à sa femme. Cette sotte s'habille de manière ridicule !

- Bonjour mon oncle, répliqua Alexane, la moindre des politesses serait de me saluer.

- Vous osez nous parler de politesse ?! s'indigna sa tante. Ne serait-ce point vous qui tout à l'heure avez prononcé plus d'insultes, à mon égard, qu'un tavernier* ?

- Je ne suis pas convaincue par votre image, ma tante. Et sachez, monsieur mon oncle, que je m'habille comme il me plaît; mais par pitié, n'ouvrez pas de nouveau ce débat.

- Elle a bien raison, n'essayez point d'argumenter avec elle, seules des sottises sortent de sa bouche, rétorqua Madame de Blois, moqueuse.

- Ma foi, je préfère ne point répondre à cela, dit la jeune fille. »

Elle s'assit et mangea mais, à son grand déplaisir, le silence ne fut que de courte durée.

« Il me semble qu'une servante vous cherchait, plus tôt. Puis-je en savoir la raison ? demanda son oncle.

- Une lettre qui m'était destinée, rien de plus.

- Et de qui venait-elle ? s'enquit Madame de Blois. »

Pour une raison qu'elle ignorait, elle fut tentée de mentir. Mais à quoi bon ? Si elle ne disait la vérité à ce moment, sa tante chercherait la lettre et ferait tout ce qui était en son pouvoir pour connaître son contenu. Elle ne daigna pas regarder son oncle, mais avoua:

« Elle venait de Père.

- Comment ?! s'étonna sa tante.

- Elle venait de Père, le comte de Chabannes, répéta l'enfant. N'aviez-vous point entendu ou n'aviez-vous simplement pas pensé, un seul moment, qu'il puisse être en vie ? demanda Alexane avec amusement.

- Comment pouvez-vous dire de telles horreurs? s'exclama sa tante.

- Je n'ai rien dit. Vous avez laissé transparaître, j'ai traduit, répondit-elle avec fierté.

- Vous êtes d'un tel agacement... Vous m'épuisez, confia Madame.

- Et vous de même ma chère tante. Maintenant, si vous le voulez bien, je souhaiterais me retirer afin d'aller me reposer. »

Sur ces mots, la jeune fille se leva et partit dans sa chambre. Toutefois, il lui fut impossible de trouver le sommeil. Elle ne pouvait penser à autre chose qu'à la lettre de son père; ses phrases se répétaient dans sa tête, de plus en plus fort, et elle se demanda si sa tante n'avait pas raison. Peut-être perdait-elle la tête ? Alexane repensa à la discussion qu'elle avait eue avec Madame de Blois, lors de son retour de la rivière, et en particulier à une phrase. Elle avait dit: « Je veux rejoindre Père ». Bien sûr, elle n'avait pas réfléchi en disant cela; elle enchaînait les arguments afin de tenir tête à sa tante, d'avoir le dernier mot, mais elle l'avait dit: « Je veux rejoindre Père ».

Une multitude de pensées lui vint. Après tout pourquoi serait-ce si puéril ? Son père lui avait communiqué dans sa lettre qu'il songeait se retirer de la guerre, ainsi elle ne le rejoindrait pas en plein conflit mais à l'extérieur de celui-ci. Cependant, elle pensa que cet argument ne convaincrait pas le comte, si elle devait lui expliquer la raison de sa venue. Mais, Alexane avait déjà fait par deux fois le trajet du château jusqu'à Paris. Elle saurait très certainement le retrouver: il lui suffisait donc de prendre un cheval et de partir. Une pensée toutefois lui posa problème: les affrontements. Peut-être le chemin était-il rempli de huguenots et de catholiques cherchant à s'entre-tuer ? Il lui fallait donc un moyen de se protéger. Alexane, pourtant, laissa apparaître un large sourire...

Chapitre corrigé par Mme PDM

Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant