Chapitre dix

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 Les jours passèrent sans nouvelle des conflits sanglants se déroulant à la capitale. Alexane se plaisait au château, loin des horreurs de la guerre. Son père et elle étaient enfin réunis dans un lieu sûr, et c'était une sensation de fait accompli qu'elle ressentait à chaque minute en ces lieux. Cependant, une chose troublait la tranquillité d'Alexane : l'amitié qu'avait le comte pour la princesse. En effet, le comte étant d'un esprit fort sage et fort doux gagna bientôt l'estime de la princesse, et en peu de temps elle n'eut pas moins d'amitié pour lui qu'en avait le prince son mari. Chabannes, de son côté, regardait avec admiration tant de beauté, d'esprit et de vertu qui paraissait en cette jeune princesse. Le comte était toutefois un homme d'un âge beaucoup plus avancé que cette dernière, et c'était là ce qui troublait sa fille. Cependant, Alexane garda son opinion pour elle seule, de peur de paraître jalouse de l'admiration et de l'attention qu'avait le comte pour la princesse. Chaque jour, la confiance du comte et de la princesse s'augmenta de part et d'autre et à tel point du côté de Marie qu'elle lui apprit l'inclination qu'elle avait eue pour Monsieur de Guise ; mais elle lui apprit aussi qu'elle était presque éteinte et qu'il ne lui en restait sur ce qui était nécessaire pour défendre l'entré de son cœur à tout autre et que, la vertu se joignant à ce reste d'impression, elle n'était capable que d'avoir du mépris pour tous ceux qui oseraient lever les yeux jusques à elle. Mais la princesse conjura le comte de ne rien dire au prince, ce qu'il fit. Tout cela, Alexane était censée l'ignorer, mais la princesse et le comte se cachaient mal et au détour d'un couloir elle eut vite appris tout ce que le comte savait. Quand elle sut l'inclination de la princesse pour Guise, Alexane comprit qu'elle ne regarderait plus jamais Marie de la même façon.

Si le comte était devenu bon ami de la princesse, Alexane était devenue bonne amie du prince. Elle ne put pourtant pas se résoudre à lui dire ce qu'elle savait, de peur de l'attrister.

Plusieurs semaines passèrent et rien ne vint troubler la tranquillité des lieux. Mais un jour, lors d'un repas comme les autres, un serviteur vint porter une lettre au prince. Ce dernier ne l'avait pas encore ouverte que la peur le saisit : il avait reconnu le sceau royal sur l'enveloppe. Son teint vira aussitôt au blanc maladif, et il ne put point le cacher . « Le roi me redemande, murmura-t-il d'une voix faible. Je dois vous quitter. ». En effet, la guerre reprenait, et tous les princes étaient appelés à la Cour. « Je dois partir, poursuivit-il. Maintenant. ». La guerre faisait si peu de bruit à Champigny qu'Alexane avait oublié que seule une trêve avait été signée, et que les combats étaient loin d'être terminés. Le prince ordonna qu'on lui prépare un cheval. Il devait partir avant la tombée de la nuit, ordre du roi.

Alors que le jeune homme finissait de mettre son plastron, son ami vint lui donner son épée qu'il avait oubliée dans la précipitation.

« Quand vous serez sur le champ de bataille, recommanda le comte, épargnez-vous. Songez aux êtres pour qui votre vie est plus importante que la leur même.

– Il y en a peu, voire pas, répondit le prince.

– C'est que vous m'oubliez bien trop vite, Philippe.

– Dans ce cas, je m'en souviendrais. Je vous le promets. »

Le prince alla chercher son cheval dans la cour du château. Les deux amis s'embrassèrent.

« J'aimerais vous suivre, Philippe, affirma le comte. Mais vous connaissez la disgrâce qui m'interdit de paraître à vos côtés.

– Je plaiderai pour vous. Mais vous me servirez mieux ici en servant mon épouse. Profitez-en pour l'instruire, elle ne sait ni le dessin ni la poésie. Je veux que le jour venu elle paraisse à la cour armée pour y tenir son rang.

– Bien. », promit le comte.

Le regard du prince croisa celui d'Alexane, brisé de voir un être qui lui était aussi cher partir de nouveau à la guerre.

Alexane de ChabannesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant