Maleficarum I La main du Diable (terminée)

Chapitre 14 Ramper jusqu'aux noces

Info: pour les curieux, je rappelle qu'une carte se trouve dans la partie "Prologue".

Elle resta immobile dans la bassine. Une servante vint lui passer un linge autour du corps, puis Gemma lui parfuma le cou et les poignets. Une odeur de rose s'évapora aussitôt.

- Attention, fit une domestique en l'aidant à sortir du bain.

Elle était plus âgée que les autres. Ses mains fripées et ses cheveux gris témoignaient d'une vie passée à la servitude. Swan ne l'avait jamais vue: c'était Katherine qui le lui avait envoyé, tout comme la servante qui l'avait recouverte d'un linge.

- Voilà de quoi vous adoucir la peau, fit la domestique plus âgée.

Elle la badigeonna d'une huile étrange à l'odeur sucrée. Swan se mordit la langue. Elle lutta quelques secondes pour ne pas imaginer les raisons pour lesquelles la vielle servante tenait à ce qu'elle ait la peau douce, puis céda à ses propres cauchemars.
Ayant un haut le coeur, elle plaça sa main devant sa bouche. La domestique leva aussitôt la tête, surprise:

- Allons-allons, fit-elle en lui caressant doucement le dos.

Swan hésita à se dégager. Elle n'avait pas envie de compassion, ni même de pitié. Elle avait juste envie de fuir et de ne plus jamais revenir.
Tout avait été trop vite: la semaine dernière elle était aux jeux, aujourd'hui elle célébrait ses noces. Blake avait demandé la bénédiction dans les heures suivant sa chute, comme s'il craignait qu'une infection le laisse sur le carreau. Le roi la lui avait donné sans concession, plus ravit que jamais.
À partir de ce jour, Swan n'avait plus eu de temps libre, ni même son mot à dire. Les essayages étaient un calvaire et Lady Meredith lui faisait un cours spécial sur la conduite à tenir à l'Eglise.
Le seul moment où elle avait pu donner son avis était lorsqu'on lui avait demandé de désigner ses témoins. Initialement, Katherine avait prévu des cousins par alliance, mais contre toute attente, Blake avait exigé que la sorcière choisisse elle-même les personnes de son choix, comme si c'était une consolation.
Il fallait un homme et une femme. Swan hésita longtemps entre Lady Meredith et Lady Gisla, ce qui lui valut quelques réprimandes de Katherine (qui détestait la seconde). Finalement, elle jeta son dévolu sur l'aïeule, considérant que son humour allait peut-être la sauver le jour de ses noces. Quant à l'homme, son choix se porta naturellement sur Gabin, seule connaissance masculine qu'elle avait en sympathie.

- Levez les bras, demanda Gemma.

Swan s'exécuta et la servante lui passa un corset. Au moment où elle tirait les fils, la vielle domestique l'interrompit d'un geste de la main:

- Ne serez pas trop fort, fit-elle avec douceur. Les demoiselles sont souvent nerveuses le jour de leurs noces, il faut leur laisser un peu d'espace. Ce serait fâcheux qu'elle finisse par ramper jusqu'à l'autel.

Gemma acquiesça et tira plus légèrement les cordelettes, seule bonne nouvelle en cette funeste journée. Lorsqu'elle eut finit, la deuxième servante la fit installer sur une chaise et entama sa coiffure.

Regardant leurs gestes avec lassitude, Swan les observa se précipiter sur quelques broches, puis communiquer à demi-mots au sujet de la position d'un tissu par apport à l'autre. Quand elles eurent finit, les domestiques lui enfilèrent sa tenue, puis se placèrent devant elle pour admirer le résultat.
Elle portait une robe crème aux ornements dorés, brodés de fleurs et d'oiseaux merveilleux. Au creux de son décolleté pendait une croix d'or assortie à de lourdes boucles d'oreille amoncelées de pierres rouges.

- Vous êtes belle, fit Gemma dans un demi-sourire.

Swan n'eut aucune expression. Elle sentait que si elle bougeait ne serait-ce qu'un sourcil, elle allait s'effondrer et ruiner tout le travail que les domestiques s'étaient données.