- Savez-vous qui vient vous chercher ?
- Le seigneur Westlander, répondit Swan.
Sa mère passa si fort la brosse contre son corps qu'elle grimaça de douleur.
- Que ferez-vous lorsque vous le verrez ? demanda-t'elle ensuite.
- Je ferai la révérence.
Un seau d'eau glacée s'abattit sur sa tête, lui faisant boire la tasse. Elle n'eut pas le temps d'ouvrir les yeux que sa mère la tira de la bassine en lui agrippant fermement le bras. Rouge d'impatience, elle la couvrit d'un linge et la pressa d'enfiler une tunique. Swan se dépêcha, silencieuse. Lorsque sa mère l'aida à passer son corset, elle le serra si fort que la jeun femme crut bien perdre une cote. Elle se plia sous la surprise, cherchant son souffle.
- Redressez-vous, grinça sa mère.
L'intéressée obtempéra, serrant les dents. En temps normal, sa mère, Maggy Turner, mettait un point d'honneur à ce qu'elle soit mise à l'écart de la famille. Elle dormait à l'étable, mangeait avec les animaux et se lavait dans le ruisseau. Il n'y avait pas plus détesté, plus craint et plus haïe qu'elle au village. Or, depuis hier, elle faisait l'objet d'une intention particulière auquel elle n'y comprenait rien. Un seigneur semblait s'être intéressé de près à son profil de roturière et sa mère mettait tout en oeuvre pour que son aller soit sans retour.
- Enfilez ceci, dit-elle en lui désignant de jolis souliers verts.
Swan tenta d'entrer son pied.
- Je crains qu'elles ne soient trop petites.
- Enfilez, ordonna à nouveau sa mère en la regardant d'un oeil si courroucé qu'elle en eut un frisson.
Elle prit une inspiration et enfila les chaussures. Elles furent si difficiles à passer que sa mère fut contrainte d'appeler l'une de ses soeurs à la rescousse. L'aînée arriva en catastrophe sous les protestations de la maitresse de maison.
- Mary, aidez-moi à lui enfiler ces souliers je vous prie.
Le visage de la jeune femme se défit.
- Je n'y tiens pas, répondit-elle en adressant un regard sinistre à sa cadette. Je porte un enfant, je ne veux pas de problèmes.
Elle plaça une main protectrice sur son ventre.
- Aidez-moi, insista l'autre.
Mary hésita, puis s'approcha en levant le pan de sa robe. D'un geste sec, elle prit le pied de Swan et le planta du mieux qu'elle put dans le soulier. Blessée, la jeune femme se mordit la lèvre pour ne pas gémir.
Soudain, la porte s'ouvrit à la volée:
- Mère, les voilà ! s'écria une jeune femme.
- Vite, tout le monde dehors ! s'exclama l'intéressée en tirant brusquement sa fille par le bras.
Elles traversèrent le salon pour rejoindre la cour. Sur place, les six soeurs Turner étaient accompagnées de leurs époux et enfants. Lorsqu'elle les rejoint tirée par sa mère, tous se figèrent et l'observèrent comme une bête. Ses neveux et nièces, qui jusque là chantonnaient et jouaient, partirent se réfugier derrière leurs parents respectifs.
- En ligne ! ordonna son père, faisant un geste du bras.
Tout le monde se plaça à un endroit précis, comme lors d'une répétition théâtrale. Swan se trouvait au milieu, juste entre ses parents qui eux même étaient encadrés de leurs six filles et gendres. Tous étaient si bien endimanchés pour un jour de semaine que la scène paraissait surréaliste.
Ils patientèrent cinq bonnes minutes, puis l'une des soeur s'agaça:
- Lisa, es-tu sûre d'avoir bien vu la caravane ? demanda-t'elle avec colère.
L'autre soeur n'eut pas le temps de répondre. Au loin, traversant les champs, cinq chevaux venaient d'apparaitre. Galopant à vive allure, ils emportaient avec eux d'épais nuages de poussière. Lorsque la caravane s'arrêta devant la ferme, plus personne ne bougea une oreille. Il y avait un coche tiré par deux cheveux, suivit de deux soldats lourdement armés et d'un homme élégamment habillé. D'une quarantaine d'années, celui-ci portait un manteau sombre au col élevé et attaché par des boutons argentés. Était-ce le seigneur Westlander ?
- Mesdames, Messieurs, dit-il sans prendre la peine de descendre de cheval.
La mère de Swan lui donna un coup discret pour l'inciter à faire la révérence. La jeune femme s'exécuta, se retenant de grimacer lorsque ses orteils se plièrent contre la semelle. L'homme se racla la gorge, embarrassé:
- Je viens au nom du seigneur Westlander. Êtes-vous bien Swan Turner, la septième fille de John et Maggy Turner ici présents ?
- Oui monseigneur, dit-elle distinctement.
Comme un signal, le cocher descendit de son véhicule et lui ouvrit la porte. Swan hésita, puis monta dans le coche sans faire attention à la main qu'on lui tendait pour l'aider à grimper. Elle n'était jamais entrée dans ce genre d'infrastructure. Subjuguée par la beauté du décor, elle en oublia presque sa situation et sursauta quand la portière se referma derrière elle.
- Voilà votre dû monsieur Turner, c'est le dernier que vous recevrez.
Une bourse pleine vola dans les mains de son père qui s'inclina bravement. Aussitôt, un coup de fouet retentit et le coche se mit en route. Swan sentit son coeur battre. Elle regarda la ferme s'éloigner, ne sachant pas ce qui l'attendait.
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Maleficarum I La main du Diable (terminée)
FantasiEn raison de ses liens avec l'Obscur, Swan se voit être la bête noire du village. Accusée des pires atrocités et menacée par l'Inquisition, elle vit reclue dans la ferme de ses parents quand ceux-ci decident de la vendre à une riche famille seigneur...