6 Avril 2018
Il me fixe intensément, sa mâchoire démesurément contractée et ses sourcils froncés. Lentement, je découvre à nouveau les traits de son visages qui sont l'essence même de son charme. Je m'attarde quelque seconde de trop sur ses lèvres charnues ; mes poils s'hérissent. Un frisson traversa mon échine, m'obligeant à me dandiner sur cette chaise inconfortable pour évacuer cette sensation désagréable. Inconsciemment, je triture mes doigts entre eux alors que mes mains s'engourdissent dans des milliers de fourmillements. À croire que le fait que je respire le même air que lui engendre une réaction immunogène dans mon corps.
Mes fesses n'apprécient absolument pas la chaise sur laquelle elles sont installées : effectivement, mes ischions s'enfoncent dans cette surface métallique impitoyable, provoquant un inconfort général à ma posture. De toute manière, après avoir jeter un coup d'œil circulaire plus observateur a l'endroit dans lequel je me trouve, chaque meubles et aménagements semblent sans âme. Ici, l'odeur est agrémentée par le renfermé, l'ambiance pèse si lourd que l'oxygène paraît irrespirable : les émotions qui circulent dans cette pièce sont majoritairement sombres et cela semble avoir déteint sur les murs en crépis qui s'effritent négligemment. En tout cas, je ne vais pas m'éterniser ici. Faisant de mon mieux pour dissimuler mon hésitation, j'approche ma main droite du vieux téléphone. Suivant mon geste, le jeune homme saisit l'instrument à son tour sans me quitter des yeux. Il me toise en arborant une expression impassible que je lui envie, l'impatience danse dans ses prunelles, trahissant aussi son exaspération.
« Wayne, prononçai-je, sans émotion ».
Aucune réponse. L'enfoiré, il a oublié mon prénom. Le malaise palpable me noue l'estomac et j'ai l'impression que cette situation l'amuse.
« Winter, dit-il ».
Sa voix suave résonna dans mon esprit. La manière dont il vint de prononcer mon prénom sonne comme de la provocation. Légèrement perturbée, je ne réponds pas directement. Le même silence que celui présent lors de mon arrivée s'installa entre nous deux.
« Tes cheveux, remarqua le jeune homme.
-Quoi ?
-Tu l'as fait ».
Bien vu, l'aveugle. Ma main libre se dirigea automatiquement auprès de ma chevelure qui n'atteint même plus mes épaules. J'entremêle mon indexe dans une de mes mèches grises.
« Y'a du progrès, tu te laves les yeux maintenant ? ironisai-je ».
Sans broncher face à mon sarcasme, Wayne continua sur sa lancée en me complimentant. Instinctivement, je plissai les yeux. Il est possédé ? Méfiante, je soupirai.
« Tu peux partir maintenant, m'annonça-t-il.
-Mais...
-C'est bon, j'ai vu ta décoloration, t'as suivi mes conseils. T'avais pas besoin de faire le déplacement ».
Confuse par ses propos, j'ouvre la bouche pour la refermer. Puis, illuminée, je comprends la nature de sa violence : il sait que je suis ici pour une raison bien précise. Bien sûr ! C'est évident ! Sinon, jamais je n'aurais franchi le pas de porte de cet endroit insalubre. Je crus observer ses épaules se raidir à travers la vitre qui nous sépare. C'est incroyable. Cette glace qui instaure cette distance bénéfique entre lui et moi prouve à quel point nos vies ont pris des tournants différents. Les choix que nous avons fait dans le passé résument très bien l'impact qu'ils ont eu sur notre futur, désormais présent.
« Je sais que cette coiffure me va bien. Sinon, je ne l'aurais pas fait mais ça tu le sais, Wayne, ricanai-je, espiègle.
-T'insinues quoi là ? cracha Wayne ».
Une veine ressortit sur le haut de son front, légèrement obstrué par sa chevelure de geai négligée. La tension monte vertigineusement. Mon cœur bat la chamade et je m'efforce de me contenir.
« Rien. Je n'insinue rien. Je le dis clairement.
-Winter, articula-t-il, tu t'es pris combien de coup de queue pour devenir aussi conne ?
-Pas assez pour ne pas remarquer que t'as peur, rétorquai-je ».
Brusquement, Wayne rapprocha son visage de la vitre, me fusillant de son regard tel un scélérat le ferait avec sa victime. Un sourire forcé se figea sur son visage alors qu'un rire nerveux s'échappe de ses lèvres. Psychopath.
« Winnie, je n'ai pas peur. Je veux juste que tu t'en ailles. Je veux que tu sortes de ma vie. Je veux ne plus jamais te revoir, comme tu l'avais si bien dit. Que des belles paroles, soupira-t-il, tu sais qu'il me l'a dit ?
-Ne m'appelle pas comme ça.
- T'as pas eu les couilles de venir la première fois alors pourquoi maintenant ? ».
Ma poigne se contracta autour du téléphone tandis que l'intérieur de ma lèvre se mit à saigner, violentée par mes dents.
« T'as failli venir, répéta-t-il.
-C'est faux. Pourquoi aurais-je voulu m'infliger le supplice de ta sale gueule ? répliquai-je, amèrement.
-Tu mens, Winnie, comme d'habitude. Il m'a tout dit ».
Ma patience s'effrite et peu à peu, je perds le contrôle. Tantôt, je clamais maîtriser cette conversation puis, Wayne a effleuré avec justesse des points sensibles. Il aime me blesser. Je le lis dans ses iris et c'est flagrants : il faut dire qu'il ne le cache pas. Une ancienne rancoeur dont je ne soupçonnais plus existence s'éveilla dans ma poitrine à la manière dont une braise s'enflammerait. Attisant ma haine, je canalisai cette énergie dans le but de raviver la flamme. Je joue avec le feu, en parfaite conscience que je vais terminer avec des brûlures. Sauf que je désire le voir souffrir : observer attentivement son expression devenir livide et le voir perdre les mots éberlué, perdu, apeuré et surtout, désemparé.
« C'est vrai, avouai-je, l'enjeu a changé ».
Ma déclaration déclenchera un vague de déchaînement intense en lui mais, je ne me voile pas la face, prononcer ces mots à haute voix ne serviront qu'à m'enfoncer. Mais, je jouirai de sa dérision et sa douleur pansera la mienne. Qui veut du feu doit souffrir la fumée. Cette phrase me poussera à me souvenir de leur histoire, de notre histoire.
« Ce n'était pas une overdose, Wayne ».
Mais la traitrise et la violence sont des lances à deux pointes; elles blessent ceux qui y ont recours plus griévement que leurs ennemis. Emily Brontë avait raison.
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Random« Parfois, il est tellement plus simple de fermer les yeux sur la vérité : il n'est même pas question de la nier, juste l'ignorer. Qui sommes-nous ? Qui sont-ils ? Surtout, qui suis-je ? » Une adolescente au tempérament de feu portant le nom de l'hi...