Aaron

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28 décembre 2017

Je tremble. Mes poils s'hérissent après une unième bourrasque de vent gelé. Les dents serrées, je tente de me réchauffer en croisant mes bras autour de ma poitrine. Il fait tellement froid. Autour de moi, l'obscurité règne ; ce voile d'une noirceur intense a balayé la clarté du jour il y a quelques petites heures. J'ai toujours aimé la nuit mais ce soir, j'ai l'impression qu'elle me trahit. Elle qui a toujours été mon échappatoire est aujourd'hui celle dont qui je voudrais m'éloigner. Je me recroqueville sur ce banc en m'assurant de ne pas lâcher la laisse d'Alaska par peur qu'elle s'en aille ; qu'elle me fuie. S'il vous plaît. Mes muscles sont contractés, mon corps entier lutant contre la température qui ne cesse de chuter.

L'immensité du ciel m'absorbe ; je suis tellement insignifiante, tellement inutile, tellement rien. Le silence commence à devenir trop bruyant, l'absence bien trop présente, et je sens que ma carapace s'effrite. Après tout ce qu'il s'est passé, je me demande quand je vais craquer. Si seulement il me restait de l'argent, j'irai acheter une bouteille ou je ne sais quoi pour noyer mon sang, me tuer de l'intérieur ; juste me détruire. Cela juste parce-que je n'ai pas le courage d'en finir radicalement, je me demande ce qui me retient. Je n'ai plus rien. Je disais choisir le tout mais bordel, je ne sais pas ce que cela signifie. De toute manière, je n'ai pas peur de la mort, pourquoi craindre quelque chose dont on ne sait rien ? C'est Hope qui me l'a appris. Comme beaucoup de choses. Elle m'avait expliqué qu'un philosophe avait pour principe que les gens qui étaient effrayés par la mort étaient des personnes qui prétendaient avoir des connaissances. Pourquoi ? Je ne sais pas, je n'ai jamais compris. Est-ce qu'elle a eu peur ? Est-ce qu'elle était en état de comprendre ? Surtout, est-ce qu'elle a pensé à moi, au fait qu'elle me laissait derrière, trop faible pour la rejoindre ? De tout façon, je ne serais pas une adolescente de plus à commettre un suicide : je ne serais pas un chiffre dans leurs statistiques de merde et encore moins la raison d'affiche de pseudo-soutient dans les couloirs de mon lycée. Hypocrite. Si je dois crever, ce ne sera pas de ma propre volonté. Bien sûr, je partirais sans soucis mais avec une âme plombée par les regrets.

Un nouveau courant d'air m'assaillit et je sens que ma fébrilité grossit. Un petit coup de vent qui me procure la sensation d'une tornade. Mon psychologique est endurci, j'ai l'habitude de supporter de la fatigue psychique mais là, en plus de cela, mon corps est à bout. Je suis physiquement épuisée par le manque de sommeil, mon altercation avec mon père, mes heures de marche...Même la gifle de ma mère semble encore me blesser. Je ne tiendrais pas encore une nuit de plus ainsi, je ne peux pas, je ne veux pas. Les autres fois, j'étais ivre ou trop défoncée donc en quelque sorte contrainte de m'accommoder. Initialement, je me contente de peu mais alors, en état second, je me contente de rien.

Après avoir peser le pour et le contre, je me dirige chez l'une des uniques personnes qui ne me claquera pas forcément la porte au nez. Aussi étonnant que cela soit, je pense pouvoir trouver refuge chez elle. Encore. Comme à chaque fois, je me perds dans mes pensées durant le trajet et parfois, il m'arrive de lever les yeux au ciel lorsque je croise un couple qui se transfère leur salive au coin d'une rue. Je me demande s'ils étudient l'anatomie de leurs glottes avant de poursuivre mon chemin agrémenté par le cliquetis des pattes de mon chien. J'arrive devant l'immense demeure des Jackson sans savoir comment y pénétrer sans me faire agresser. Combien de tune je peux gagner si je porte plainte pour violence par un riche ? Michto. C'est précisément dans ce genre de situation que je me dis qu'avoir un téléphone pourrait s'avérer utile. Pour appeler qui ?

Les mains qui tremblent, je me faufile dans leur propriété pour me rendre à l'arrière du jardin. Peut-être que Mercy me remarquera si je lance des cailloux contre sa fenêtre. Oui, je suis désespérée au point de m'abandonner à ce grand cliché cinématographique. Une partie de moi me hurle de reculer et de me débrouiller, seule, comme toujours. Malheureusement, l'autre est consciente de ce que je risque de faire. Je me baisse pour ramasser du gravier alors qu'Alaska se couche en grommelant. Mes doigts triturent le petit bout de pierre avec appréhension. Est-ce que je suis vraiment sur le point de lui demander de l'aide ? Encore ? Et si elle m'envoie chier ? Depuis quand j'ai peur, bordel. Pesant le pour et le contre, je me persuade qu'elle comprendra ; elle-même m'a dit qu'elle serait là pour moi. Allez, pour une fois, crois-y. Rassemblant mon courage, je lance le caillou contre sa vitre. Je répète ce geste trois fois de suite avant de me reculer dans l'ombre. Une forme se dessine devant la vitre mais elle semble plus large que la jeune fille. Bien vite, je reconnais Aaron Graham, le meilleur ami de mon frère. Et je comprends qu'elle n'est pas aussi seule que ce que je pensais, que ce que j'espérais.

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