Brendan

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19 décembre 2017

Il faut une persévérance solide pour persister à camoufler ses émotions. Par dessus-tout, cette tâche nécessite de posséder un point d'ancrage : un souvenir, par exemple. En quelque mois, je me suis perfectionnée dans cet art au point de berner tout mon entourage. Il suffit d'arborer une mine blasée, d'hausser nonchalamment un sourcil pour feindre un désintéressement profond. Parfois, c'est vraiment compliqué et je dois redoubler d'effort, m'immerger dans ma mémoire pour me déconnecter de mon ressenti dans la réalité.

C'est ce qu'il m'arrive, maintenant. Leurs regards sont braqués sur moi. Je suis le lion du Colisée des romains, cette bête de foire qui suscite tout l'intérêt. Une chose vient de s'évaporer de moi comme si une partie infime de mon âme s'est envolée vers d'autres horizons. La dernière fois que j'ai eu cette sensation, je fixais passivement le départ de cette ambulance. Il y a une nuance, là, je ressens une sorte de soulagement qui est vite remplacée par de la culpabilité et de l'incompréhension. L'abandon assiège les remparts de mon cœur. J'ai envie de fondre en larme, de briser ma voix à hurler parce-que je suis en colère contre l'univers entier : contre les étoiles qui scintillent sans se soucier de la misère humaine, contre la société qui impose des règles auxquels je ne parviens pas à me plier, contre mon entourage qui m'a délaissée...Mais je ne montre rien. Je les fixe, droite comme un poteau, capuche retirée. L'essence même de cette chaîne à laquelle je m'agrippe pour faire taire ma douleur et prétendre l'indifférence se tient juste devant moi. Ses cheveux blonds soyeux dévalent ses épaules jusqu'à sa poitrine, ses lèvres pulpeuses contrastent avec son petit nez aquilin. Son maquillage impeccable juge mon visage naturel. La pitié habite son visage. Aaron refoula Mercy, une noiraude aux courbes alléchantes, qui vient de tenter de le réconforter. Je le comprends tellement : il est à deux doigts de disjoncter.

« Je...je ne sais pas quoi dire, souffla Hilary.

-Ferme ta gueule dans ce cas là, crachai-je. »

Je rabats ma capuche sur ma tête puis, tourne les talons pour m'en aller. Vers eux, je suffoque. Cinq ans. Mes bras me démangent, il faut que je me gratte ; que j'élimine cette toxine qui circule dans mes veines. Si je suivais le fond de ma pensée, il faudrait que je me fasse saigner pour éliminer ce malaise qui m'imprègne. La panique augmente. Cinq ans. Je prie pour que je sois en train d'halluciner. Pour la première fois, j'ai peur de le perdre. En réalité, ce que cela implique m'effraie. Son absence sera toujours plus communicative que sa présence. Cinq ans. La gorge nouée, je traverse le plus vite que je peux le terrain de football. Calme toi. Cinq ans. Dans ma tête, tout s'entrechoque à une vitesse effrénée. Des pas retentissent derrière moi alors j'accélère. En plus, sa façon de parler, de prétendre de s'intéresser à ce qu'il vient de se dérouler...Voilà la chose à laquelle je pense lorsque je dois canaliser mes émotions : son hypocrisie, sa trahison et à quel point c'est une opportuniste. Ses paroles tournent en boucle dans mon esprit m'aidant à enfouir mon ressenti dans les tréfonds de mes tripes.

« Winter ! Attends, s'il te plaît. »

Il s'agit d'Aaron. Essoufflé, il se plante devant moi. Ses yeux sont vitreux, son âme semble s'être dissipée dans les airs. Sa nervosité transparaît dans chacun de ses gestes. Je ne saurais dire quelle drogue possède une emprise néfaste sur lui actuellement.

« Combien de temps ? me demanda-t-il de sa voix grave.

-Plus que ce que tu penses. »

Ses sourcils se froncèrent.

« Cinq ans, lâchai-je. »

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