Chapitre 29

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                            ~ Chapitre 29 ~

Les ténèbres m'enveloppaient. Tout était noir. Toute cette obscurité environnante était comme être engluée dans des sables mouvant sans pouvoir en ressortir. J'étais lovée dans ce néant oppressant. Je ne parvenais ni à bouger, ni à produire la moindre élocution.
Aller, je devais tenter de me remuer un peu. Rien ? Un effort, juste un doigt...
Aucune réponse de mes membres insensibles. J'étais comme paralysée dans ce sommeil dont je ne parvenais pas à sortir.
Peut-être était-ce juste un cauchemar ? Après tout, il arrive souvent que nos mouvements soient difficiles voire impossibles dans nos songes. Cependant mes pensées étaient trop distinctes pour qu'il ne s'agisse que d'un simple rêve. Je ressentais, je pensais. Je me concentrais et ordonnais le silence à mon flot de pensées stochastiques.
Le calme régna alors, à l'exception près du clapotis lointain qui me parvenait vaguement. Sans doute de l'eau qui s'écoulait de la gouttière. Oui, ce devait être ça. Mais alors, ou me trouvais-je ? J'étais donc bien vivante, où était-ce ce à quoi la mort ressemblait ? Être plongée dans l'obscurité pendant l'éternité, et incapable d'interagir avec le monde...
Un seul moyen de m'en assurer, je tentais à nouveau de bouger, et réussis à mouver mollement quelques doigts.
Super, c'était mieux.
Je récupérais un peu d'acuité à mesure que j'essayais de remuer.
Mes yeux, j'avais besoin de voir, de voir autre chose que tout ce noir. Mes paupières étaient lourdes, mais l'effort en vaudrait la peine, il fallait que je puise la force de les ouvrir.
Un battement saccadé m'aveugla d'une lumière blanche, maintenant. Mes cils étaient collés et semblaient peser bien plus que le poids qu'ils ne représentaient vraiment. Ma volonté se fit plus forte, ma capacité à agir également. Entre quelques clignements, une douce clarté tamisée dissipa la pénombre qui m'envahissait. Ma vision était trouble, mais il y avait une masse à mes côtés, je basculais la tête dans la direction en question. Entre quelques battements de cils, je parvins à distinguer des cheveux bruns éparpillés sur des bras repliés près de moi. C'est seulement à ce moment que je remarquais qu'une fille était assise au bord du lit où j'étais allongée. La jeune fille semblait assoupie, la tête reposant sur ses bras. Sa respiration était paisible, était-elle à mes côtés depuis longtemps ? Je profitais d'avoir recouvré mes sens pour observer l'environnement qui m'entourait. J'étais effectivement dans un grand lit, dans une pièce qui m'était inconnue. Le vaste espace était modestement meublé, la décoration était épurée. Le sommier était en érable clair, tout comme le reste du mobilier, c'est à dire une table de chevet, une commode massive, une bibliothèque et un bureau qu'on discernait à peine sous un amas de bouquins. Mes yeux s'étaient accommodés à la faible clarté, apportée par une cloche renfermant des boules lumineuses dans des tons de bleus, disposée sur le chevet. A prime abord, on avait souhaité aménager le lieu dans un style ancien qui amenait une certaine ambiance cosy à l'ensemble.
Mon intention se reporta à nouveau sur la personne qui dormait à mon chevet. Sous cette masse de cheveux, il m'était impossible de savoir de qui il s'agissait, bien qu'une odeur chyprée familière émanait de sa chevelure chocolatée.
Je remuais maladroitement un de mes bras pour le sortir de la couette, et commençais à porter ma main au visage de la jeune fille. Apparemment mes gestes n'étaient pas des moins discrets et avaient sorti la brune de son sommeil, elle plaqua sa main douce et fraîche sur la mienne, anéantissant tout effort. Puis elle releva sa tête tout doucement, occasionnant un raté à mon coeur. Des yeux d'un bleu givré me scrutèrent avec attention, ternis par l'épuisement et la lassitude. Ses lèvres rosies s'étirèrent en un maigre sourire, que je lui rendis instantanément.
- j'ai cru t'avoir perdue...
Inversement à son habitude, son ton n'avait rien de cynique, Marley entonnait une voix faible et peu rassurée.
Ses mots suffirent cependant à ramener à mes esprits la raison pour laquelle je me trouvais alitée.
Je ne réussis qu'à articuler péniblement par syllabes :
- Da-rio..?
La pression de sa main se fit plus forte à l'entente de ce prénom.
- il ne t'approchera plus. On a fait intervenir les forces de l'ordre, il ne pourra plus nuire à personne désormais.
Une seule chose me percuta.
- qui ça, on ?
Marley échappa un soupir à mi-chemin entre l'exaspération et la lassitude.
- Kieran... apparement il était dans les parages quand tu t'es aventurée dans les sous-bois, il est évident qu'il n'a pas dû rester bien loin.
- et toi, comment se fait-il que tu te trouvais dans les sous-bois au moment de mon agression ?
La bouche de la ténébreuse s'arrondit en un O parfait. Sa main lâcha la mienne et elle entama un mouvement de recul, avant de se lever et de s'éloigner.
Ma voix porta beaucoup moins que souhaité, provoquant des picotements dans ma gorge.
- Marley !
Elle se retourna juste assez pour lancer par dessus son épaule :
- ne bouge pas je reviens, je vais chercher de quoi te soulager.
L'attente était trop longue. Elle était partie les chercher en Antarctique ces remèdes ou quoi. Je soulevais les draps pour constater l'étendue des dégâts. Mon abdomen était bandé et une compresse rougie avait été appliquée à l'endroit de ma blessure. Je passai mes doigts dessus, regrettant spontanément mon geste qui m'arracha une plainte de douleur. Ça ne devait pas être joli à voir là dessous.
L'ennui m'accablait, si bien que j'envisageais d'explorer les lieux.
Je pris appui sur mes coudes pour redresser mon corps ankylosé. Au prix d'une douleur lancinante, je me retrouvais assise au bord de la couche, prête à me relever. Mon ascension me flanqua une impression de vertige, mais je réussis tout de même à me camper sur mes deux jambes. Je remarquais au passage qu'on m'avait apprêtée de vêtements plus légers, laissant paraître de nombreuses égratignures. Les seules blessures sévères étaient celles des coups qu'on m'avait portés au ventre. Reportant mon intention sur l'environnement avoisinant, je laissais mes pas me guider vers l'unique porte de la pièce.
Mais lorsque je me laissai aller contre l'embrasure de la porte, je fus en proie au désarroi.
Bordel, où est-ce que j'étais.
Un vaste hall recouvert d'un carrelage miroitant s'étendait sous mon fait. Un tapis brodé noir en jonchait le sol au centre jusqu'aux pieds d'une volée d'escaliers en marbre. À l'étage, un balcon soutenu par des colonnes à la naissance des marches parcourait le pourtour des murs. Tout était de marbre couleur écru, à l'exception des meubles luxueux en bois vernis. L'architecture était voûtée, chaque entrée était remarquable par une arcade délimitée par des colonnes. En face des escaliers, une arcade se distinguait davantage des autres, de par sa porte massive. Ce devait probablement être l'entrée des lieux.
J'entrepris donc de me rendre dans cette direction, et me glissais par l'imposante porte entrebâillée.
Et là, je crus que j'allais tomber au sol, et par la même occasion dans ce néant qui m'avait envahit un moment plus tôt.
Je descendis les deux marches qui me séparaient de l'étendue verdoyante qui surplombait le terrain. J'exécutais un tour complet sur moi même pour admirer le domaine dans lequel je me trouvais, même si ce n'était pas la première fois que je le voyais, la magnificence de cette endroit me frappa comme au premier jour.
Car oui, je connaissais ce lieu, je venais de sortir de l'enceinte du manoir caché dans les sous-bois.
- Arya ! C'est pas vrai comment tu as fait pour te sortir du lit.
Je me retournai vivement, la voix accusatrice de Marley m'ayant sortie de ma contemplation.
- tu ne dois pas te lever, la blessure est encore trop récente, tu dois te reposer.
Ignorant ses commentaires inintéressants, je l'interrogeais plutôt sur la partie que je jugeais plus intrigante.
- Marley... Qu'est-ce qu'on fait dans le manoir..?
Ma voix s'était faite plus tremblotante et incertaine que voulu.
La brune lâcha un soupir et se pinça l'arête du nez du bout des doigts, comme confrontée à une décision pénible.
- ok, très bien. Rentre avec moi et je t'expliquerai...
Je ne lui fit pas répéter une seconde fois et réglais mon pas sur le sien jusqu'à la couchette, mon regard vagabondant au hasard sur les recoins du hall fastueux.
Alors que je restais prostrée à côté du lit, Marley me fit les gros yeux en me sommant de me rallonger.
Je m'exécutais avec nonchalance, m'appliquant à éviter des mouvements brusques à mon abdomen souffreteux.
Je braquais des yeux impatients sur la jolie brune.
- alors ?
Elle sembla réfléchir un instant, avant de m'apporter les explications attendues d'une voix blanche.
- je t'ai menti. Enfin, seulement sur quelques points... disons que...
Elle marqua une pause et replaça une mèche de ses cheveux noir de jais.
À ce silence succéda une interpellation de sa part.
- Iris, Emery, est-ce que vous pouvez venir s'il vous plaît ?
Mes sourcils se froncèrent, nous n'étions donc pas seules ici.
Après un court laps de temps, deux silhouettes se découpèrent dans l'embrasure de la porte de la chambre. Une petite femme semblant aussi généreuse que son embonpoint se tenait près d'un homme sec, qui me scrutait avec une curiosité non dissimulée derrière un monocle. Tous deux étaient affublés d'un uniforme d'intendant.
Mon regard jongla entre Marley et mes supposés hôtes.
- je te présente Emery, et voici Iris, m'informa-t-elle en les désignant tour à tour d'un revers de la main. Ils me gratifièrent d'un franc sourire.
Je n'habite pas dans un appartement comme j'ai pu le prétendre. Mes parents ne sont pas à l'étranger pour le travail non plus, puisque, je n'ai pas de parents...Ils sont morts dans un accident de voiture il y a de ça huit années.
J'échappais un hoquet de surprise et haussais les sourcils, estomaquée par sa révélation.
Marley coula un regard rempli de reconnaissance aux personnes qui nous faisaient face.
- mes parents étaient les propriétaires de ce manoir, j'ai toujours vécu ici. Iris et Emery en étaient les régisseurs, mes parents leur accordaient une confiance sans faille, et pour ma part je les ai toujours connus, ils m'ont pratiquement élevés. Si bien qu'à la mort prématurée de ma famille, ils ont souhaité rester et conserver leur rôle dans cette demeure, dont je suis l'héritière.
Les intendants et Marley s'échangèrent des regards avant de s'accorder un hochement de tête entendu, et de quitter la pièce.
Je fixais la jeune fille assise au bord de ma couche, ébahie à en avoir presque la mâchoire décrochée. J'ouvrais les bras pour désigner l'ensemble qui nous entourait.
- donc, tu habites dans ce manoir, qui se trouve être à ton appartenance...et... tu n'as pas d'autre famille à part Iris et Emery ?
- tout juste, ponctua-t-elle, ses yeux cherchant à analyser le champ d'émotions traversant les miens.
- je... je suis désolée... pour tout ça. Je t'avoue que je suis un peu secouée.
Marley plissa les yeux.
- tu ne m'en veux pas de t'avoir menti ?
- bien sûr que non, je comprends parfaitement que tu ais voulu garder ça pour toi...
Sa main chercha la mienne, et un sourire hésitant s'esquissa sur ses lèvres.
Elle repoussa la couette qui me recouvrait pour passer ses doigts fins sur les bandages.
Elle entreprit de défaire le pansement de fortune, et retira lentement et précautionneusement la compresse de ma peau. Je me risquais à un coup d'œil sur mon abdomen, mais détournais aussitôt le regard.
Deux plaies profondes saillaient mon ventre, dont la teinte rougie était probablement masquée par les produits qu'on avait dû appliquer dessus.
Tout en sélectionnant des flacons et des rouleaux de bandes, Marley commenta :
- on t'a emmené à l'hôpital, les lames n'ont pas touché d'organes vitaux, ils t'ont pris en charge aussitôt et ont fait des points de suture après ton opération. On va devoir changer ton pansement chaque jour, ça, je m'en occupe. Tu vas rester ici pendant quelques temps, j'espère qui tu n'y vois pas d'inconvénient.
- n-non...
- je t'ai installé dans mon lit, je dormirai dans une autre chambre.
Je sentis une pointe de déception.
Marley arqua un sourcil et un sourire joueur plissa le coin de ses lèvres.
Elle nettoya les plaies, disposa une pommade le plus délicatement possible et banda mon abdomen après avoir appliqué des gazes.
Elle retira finalement sa main de mon corps meurtri dans une caresse.
- dis Marley ?
- Mhh ?
- j'aimerais beaucoup visiter le manoir !
Elle leva les yeux au ciel, mon entrain débordant malgré ma récente agression devait la désespérer.
- ce sera avec plaisir quand tu auras un peu récupéré.
Je me relevais presque en un bond, dissimulant au mieux la douleur occasionnée par ma hâte.
- et pourquoi pas maintenant ? Je viens de passer je ne sais combien de temps exactement inconsciente, alors j'ai bien envie de me dégourdir un peu.
Marley ouvrit la bouche pour protester, mais je la coupais avant qu'elle ne puisse le faire.
- et après promis, je me repose.
Elle capitula finalement, quoiqu'elle n'eut pas vraiment le choix, mon entêtement m'avait déjà fait quitter la pièce en la traînant avec moi au passage.
Marley me devança finalement pour me faire visiter chaque pièce de la demeure, toutes aussi amples les unes que les autres. Le sol était carrelé dans le hall et recouvert de parquet partout ailleurs, les colonnes de marbre se retrouvaient de façon récurrente dans l'ensemble de la bâtisse et les murs étaient recouverts de bois sculpté. Du mobilier précieux remplissait l'espace, de rares ornements tels que des cadres, de la verrerie, des vases et autres plantes originales agrémentaient l'intérieur.
En somme, il régnait une ambiance rustique.
On grimpa ensuite à l'étage, Marley me soutenant pour l'ascension des marches.
On longea le balconnet, et tout en effleurant la rampe, j'observais le hall du manoir depuis cette hauteur. Des bibliothèques pleines à craquer de livres étaient incrustées aux murs. Je finis par perdre le fil des indications de la ténébreuse, emportée par ma curiosité. Je laissais mes pas me guider à travers les corridors, émerveillée par le décors dans lequel j'évoluais.
Alors que Marley poursuivait son monologue à l'intention du vide, ma visite me conduisit près d'un renfoncement sombre. Contrairement au reste de la demeure qui malgré l'ancienneté de son aménagement était en parfait état, une flanquée d'étroits escaliers miteux donnait sur une petite porte écaillée.
Une simple ampoule pendait lamentablement à son fil sur le plafond voûté. J'appuyais sur l'interrupteur entouré de peinture caillée et craquelée et l'ampoule se mit à grésiller, avant d'éclairer le petit recoin d'une faible clarté. J'entrepris de tâtonner du pied la première marche, afin de voir si son état était aussi déplorable que son apparence, mais fut interrompue par une voix tranchante.
- ne vas pas ici.
Je me retournais vivement et baissais les yeux, un peu embarrassée d'avoir été peut-être trop invasive.
Face à mon expression désolée, Marley se radoucit.
- tu ne dois pas te rendre ici, ça mène aux plus hautes tourelles et le plafond menace de s'effondrer, il n'y a qu'à en juger par l'état des escaliers. Je ne voudrais pas qu'il t'arrive malheur, encore. Aussi bien je souhaite que tu ne t'aventures pas dans cette aile du manoir.
J'hochais la tête pour signifier que j'avais bien compris.
- et il y a quoi dans cette pièce alors, c'est un grenier ?
Marley passa une main gênée sur sa nuque, hésitante quant à la réponse à me donner.
- en quelques sortes oui... sûrement un débarras, nous ne sommes pas en possession de la clé pour ouvrir cette porte alors je ne sais pas trop quoi te répondre...
Ce détail fit crépiter une pointe d'excitation en moi, comment ne pouvaient-t-ils donc pas avoir envie de découvrir ce qui se cachait derrière cette porte ?!
Au vue des derniers événements, un plafond qui menace de s'effondrer devrait faire l'objet d'une formalité pour Marley.
Je devais montrer trop d'intérêt pour le petit recoin délabré, la jeune fille interrompit bien vite mes réflexions.
- bon aller, je te ferais visiter le reste plus tard. Maintenant : repos !

Fleur de glace ~ Tome 1 : l'envoûtante ténébreuse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant