Chapitre 28

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~ Chapitre 28 ~

Le rideau noir ne tarda pas à tomber pour venir ternir le paysage.
Je m'engageais dans le sentier bordant les bâtiments du campus et m'engouffrais dans la nuit. À mesure que j'avançais, les sous-bois devinrent de plus en plus sombres, si bien que j'allumais la lampe sur mon téléphone, apportant seulement une faible clarté, non négligeable malgré tout.
Des craquements sinistres et autres bruitages mornes me parvenaient de part et d'autre du chemin. Mais je n'avais pas peur, un courage insoupçonné irradiait en moi, sûrement alimenté par la curiosité de découvrir mon harceleur.
Je m'appliquais à ce que mes pas soient légers et discrets, souhaitant tout de même me fondre dans le décors et passer inaperçue aux yeux de la faune nocturne environnante.
À certains moments, mes pieds rencontraient des branches qui craquaient sous mon poids, m'arrachant une grimace.
Puis les craquements se firent plus réguliers, comme réglés sur le rythme de chacune de mes enjambées.
Le scepticisme m'envahit bien vite, et je pilais brusquement pour m'assurer que je n'étais pas suivie.
Mais alors que mes pas cessèrent, les bruissements eux, continuèrent.
Prise de manique, je pointais la lampe de mon portable dans toutes les directions, cherchant l'endroit d'où provenait ces froissements. Mais non seulement je n'en trouvai pas l'origine, mais en plus de ça le bruit semblait se rapprocher rapidement.
Il fut bientôt mêlé de... grommellements ?
C'est pas vrai. Dans quoi est-ce que je m'étais encore embarquée ?
Les bruissements se firent plus intenses et trop nettement perceptibles à mon goût, avant de cesser complètement.
Mes bras restèrent suspendus, je n'osais plus aucun mouvement et demeurais de marbre, avec pour seul bruit ma respiration haletante et mes dents qui s'entrechoquaient. Et là, ils apparurent enfin sous mes yeux. Une horde de sangliers que je ne réussis pas à dénombrer car leur masse se fondait dans l'obscurité se détacha d'entre les feuillages épais du sous-bois.
À prime abord, il semblait simplement me scruter de leurs gros yeux purulents, si bien que je gardais mon calme pour ne pas les alarmer. C'était sans compter la sensation répugnante qui humidifia mon jean. Je fis volte-face avec nonchalance pour constater avec horreur qu'un spécimen beaucoup plus gros que ceux visibles était en train de renifler bruyamment ma jambe en répandant une substance gluante sortant de ses naseaux. La surprise de cette découverte me coûta un cri strident qui déchira l'air, et en prime qui apeura évidemment l'assemblée sauvage qui me faisait face. Les cochons émirent des grognements peu rassurants avant de baisser la tête et de taper leur sabots sur la terre durcie. Il ne m'en fallu pas plus pour prendre la fuite et détaler à travers l'étroit sentier, les sangliers à ma suite qui me chargeaient en poussant d'atroces nasillements. Les branchages adjacents me fouettaient le visage dans ma course folle, m'arrachant des jurons. Les dangereux gibiers étaient sur mes talons, toutes défenses pointées en avant, prêtes à me transpercer de leur affûtage. Ce regard en arrière me fit manquer une racine qui jonchait la surface du sol, que je heurtais violemment de mon pied droit. Ce dernier me fit terriblement souffrir, mais je devais ignorer cette douleur lancinante au profit de mon seul salut qui était d'échapper à ces bêtes enragées. Je me relevais non sans mal, boitillant maladroitement à mes premiers pas et constatant avec mécontentement une déchirure sur mon jean laissant voir une égratignure sanguinolente au niveau de mon genou.
- maudits sangliers, si je le pouvais je me servirais de votre fourrure pour rapiécer ça. À cause de vous mon jean préféré est bon à jeter, maugreai-je entre mes dents.
J'aurai plutôt dû m'inquiéter du rythme ralenti de ma course plutôt que de mon esthétisme puisque les cochons fous réduisaient considérablement la distance nous séparant. J'essayais d'allonger mes foulées, mais ma jambe endolorie me refusait cet effort, laissant les sangliers gagner du terrain pour se rapprocher dangereusement de moi. Mes esprits s'aventurèrent à imaginer les défenses de mes assaillants m'embrocher sans pitié, si bien que l'affolement ne rendit ma course que plus difficile, comme si des poids invisibles pesaient sur mes jambes. Un énième coup d'œil à la volée me fit constater que le plus gros spécimen m'avait rattrapé au point de n'avoir qu'à donné un coup de tête en avant pour m'érafler sévèrement.
Mon dernier recours apparu de manière hasardeuse devant moi. Une gros branche semblant assez solide pour me supporter s'offrait bientôt à ma portée. Je devais tenter le coup, cet arbre salvateur était ma dernière chance d'échapper à l'ivoire meurtrier des sangliers.
Dans un effort démesuré et grâce à l'élan de ma course, je bondis malgré la douleur que le saut provoqua à ma blessure, et me retrouvai cramponnée à la grosse branche. Le choc me fit l'effet d'une barre en fer dans le ventre, le souffle coupé, je me soulevais à la seule force de mes bras pour chevaucher la branche. Chose faite, tous mes membres se détendirent, et ma tête retomba mollement contre le tronc massif, j'étais hors de danger.
Les sangliers disparurent dans l'ombre des arbres. Quelques instants plus tard, une nuée de chauve-souris s'échappa d'entre les branches, poussant leur grincement sinistre, m'arrachant un cri de surprise.
Un ricanement déchira l'air, puis ce fut le silence. J'étais seule, en plein milieu de la forêt.
- eh bien, fit une voix tout près de moi, quel périple !
Je faillis tomber de ma branche, si bien que je m'y cramponnais de plus belle. Je cherchai du regard celui qui venait de me parler, mais je ne vis que la pâle lueur de la lune qui filtrait entre les branchages.
- où êtes vous ? Me risquai-je. Montrez-vous.
- je ne suis pas caché, ma jolie. Reprit la voix d'un ton amusé. Si tu ouvrais un peu les yeux ? Comme ça !
Un œil jaune citron, ainsi qu'un autre de verre apparurent à quelques pas de moi.
L'instant d'après, je me retrouvais face à un jeune homme... qui n'était autre que Dario...
- là, susurra-t-il, tu me vois maintenant ?
La faible clarté miroitait sur son œil de verre, lui octroyant un regard inquiétant.
- mais, qu'est-ce que tu fais ici... Dario ?
Il répondit d'abord par un sourire féroce, qui ajouta à mon inquiétude.
- je suis sur mon lieu de rendez-vous. D'ailleurs tu es quelque peu en retard, et une horde de sanglier à tes trousses n'est pas une excuse valable, ma belle. Mais qu'importe, n'est-ce pas ? L'essentiel est que tu sois là.
À mon inquiétude initiale succéda la colère.
Ces quelques mots suffirent à faire le lien avec l'identité de mon effecteur inconnu, Dario était à l'origine de tout ces bouleversements dans ma vie. IL était l'inconnu. Malgré le sang qui bouillonnait dans mes veines et ma rage qui ne demandait qu'à exploser, je ne pus articuler qu'un seul mot.
- pourquoi ...?
Un simple mot, qui signifiait toute mon incompréhension.
- pourquoi ?!
Dario répéta ce mot plusieurs fois d'un air dramatique, il trépigna sur place en se frottant le visage, passant sa main sur ses lèvres. "Pourquoi", ce terme perdit tout son sens après avoir été répété maintes fois par le garçon névrosé.
Il stoppa ses tergiversations, et releva son visage dans ma direction, les yeux fous.
- c'est simple. Parce que depuis le début, j'envie ta position.
- q-quoi, comment ça ?
- tu es une privilégiée auprès de Marley.
- mais qu'est-ce que tu racontes ?!
- elle est toujours là à surveiller le moindre de tes faits et gestes, à épier tes conversations, tes relations. Elle s'assure toujours qu'aucun mal ne te soit fait.
- je ne suis pas certaine de comprendre où tu veux en venir...
- c'est simple. Elle est toujours là où tu t'y attends le moins. Tapis dans l'ombre mais pourtant bien présente.
Mais toi tu es sotte et tu ignores tout, tu ne te rends compte de rien.
- tu délires complètement !
- tu occupes une place de choix. Je ne sais pas pourquoi elle te voue un tel intérêt, pourquoi elle éprouve ce besoin constant de se mouvoir dans ton ombre. Mais ta place, je la veux.
Un éclair passa dans ses yeux, suivi d'un geste vif.
Puis un frisson sinistre déchirant l'échine, et enfin, le vide.
Je ne saurais dire combien de temps s'était écoulé lorsque mes paupières s'entrouvrirent . J'essayais de remuer mollement mes doigts, et ce que je sentis fut de la terre fraîche et humide, à moins qu'il ne s'agisse de mon propre sang. En tout cas, je devais donc probablement toujours me trouver allongée au même endroit.
Je tentais de déglutir, mais c'est un liquide visqueux au goût cuivré qui s'écoula dans ma gorge. Mes membres ne me répondaient plus, je n'avais sûrement pas la force nécessaire au moindre mouvement. Ma conscience était vague, je ne savais même pas si je souffrais.
Des froissements et bruits de pas semblèrent se rapprocher de moi. J'essayais de me concentrer du mieux possible pour écouter les bruits alentours.
Les pas cessèrent. Un sifflement agacé s'éleva tout près de moi.
- tu résistes...
C'était la voix de Dario, calme et froide. Comme je ne ressentais qu'à moitié les choses, je ne fus en proie à aucun affolement.
- mais pas pour bien longtemps.
Un crissement métallique traîna sur le sol caillouteux avant de s'évanouir dans les airs.
- lâche ce que tu tiens.
Mon coeur implosa, ça, je le sentis distinctement. Cette voix était la seule chose capable de me retenir de basculer dans l'inconscience. Il fallait que j'entende, je devais rester éveillée...
- Marley. Je n'attendais plus que toi...
La voix de Dario s'envolait en d'âpres paroles doucereuses.
- je t'ai dis de lâcher ton couteau. Je ne le répéterai pas, éloigne-toi d'elle.
Je m'essayais à jeter un œil sur ce qui m'entourait, mais mes paupières me refusèrent cet effort, ne m'offrant qu'une vue saccadée par un battement de cil. Suffisant pourtant pour discerner l'éclat métallique du tranchant dudit couteau que le jeune homme empoignait avec fermeté.
- sinon quoi, ma beauté ?
Son ton mielleux m'écoeurait tout autant que la bile qui rendait mes déglutitions difficiles.
La voix de Marley trancha l'air de manière plus affûtée que la lame m'ayant transpercée.
- sinon, je te tue.
Son expression démoniaque ne quittait pas mon harceleur.
Je le sentis se rapprocher de moi, jusqu'à entendre les froissements de l'herbe tout près de mon visage. Son souffle chaud s'ajouta à la moiteur de ma peau, et bien que mon corps ne répondait plus à aucun stimulus, cette proximité provoqua une vague d'angoisse déferlant par tous mes pores. Elle devait faire quelque chose, il fallait qu'elle me sorte de là, puisque mon corps refusait de me porter secours.
- ne t'approche pas d'elle.
J'entendis vaguement des pas précipités avant que la voix du garçon de viennent les stopper, levant les mains en signe d'apaisement.
- voyons, jolie Marley, il faut bien que je reste auprès d'elle. Elle résiste, mais il est évident qu'elle a besoin d'aide.
Il avait prononcé ces mots entre ses dents, cherchant la moindre faille chez la jeune fille, qui la ferait ne plus répondre d'elle même.
C'est alors que je sentis une pression froide et dur sur mon cou. Le contact sur ma peau était effilé et piquant, sans aucun doute son arme blanche. Il appuya plus fort en le glissant légèrement, assez pour faire perler le sang.
Je voulus échapper une plainte pour lui signifier d'arrêter, mais cela ressortit plus comme un râle guttural à cause de ma gorge endolorie.
La jeune fille commençait à perdre de son sang froid, son timbre trahissait son affolement.
- arrête ! Ne la touche pas, ne lui fais pas de mal...
Dario troqua son sarcasme pour un ton plus proche de l'accusation, comme s'il venait de mettre le doigt sur un point important.
- voyez-vous ça, la princesse glaçon aurait donc un coeur ? Intéressant.
Je sentis son regard s'appuyer sur moi quelques instants, avant de le reporter sur la ténébreuse.
- au moins je comprends mieux pourquoi tu lui vouais tant d'intérêt... quoique, il est étonnant qu'une fille de ton rang se soit empêtrée dans des sentiments si futiles à l'égard de cette...
Le silence qui suivit était trop pesant, son mutisme ne me permettait pas de savoir quels étaient ses agissements. Alors j'essayais de remuer un peu, dans l'espoir de faire obéir mes membres inertes, en vain.
La peur s'immisçait comme des giclées d'acides dans mes veines, agitant mon flot aléatoire de pensées. Seuls mes doigts labourèrent la terre maculée de sang à mon côté, ajoutant à ma panique.
Ce remous inutile de ma part arracha un rire condescendant à mon bourreau.
Il effleura ma joue du bout de ses doigts, et échappa un profond soupir las.
- mais tu sais... ton amour ne la sauvera pas.
L'instant d'après, ma chair recevait la lame dans un jet de sang, et je hurlais si fort qu'il me devenait impossible de discerner mon propre cri de celui de Marley se mêlant au mien. La douleur que je ne soupçonnais pas auparavant explosa de mes entrailles en des hurlements déchirants et des rubans écarlates qui jaillissaient dans les airs.
Mon corps fut secoué d'un spasme, se contractant violemment, et un liquide tiède emplit ma bouche.
La douleur foudroyante qui m'étreignait rendit mes pensées vaporeuses, me déconnectant doucement de la réalité.
J'entendis des cris, des paroles acerbes crachées comme un serpent répand son venin.
Mais aussi des moments de blanc sûrement dûs à mon état en déclin, que ma respiration saccadée, pour ne pas dire absente, n'arrangeait pas.
Un bruit sourd retentit, suivi d'un énième hurlement qui déchira l'air.
Ensuite, le silence tomba sur la clairière.
Une voix bourdonnante résonnait non loin de moi, laquelle gagna en intensité, pour finir assourdissante au point de me sortir de ma léthargie.
Je me suis cambrée, ma bouche s'est ouverte, mais rien n'en est sortit à part un râle et un filet de sang.
Presque collée contre moi, Marley me regardait de ses yeux perçants, dont les iris bleutés viraient au gris d'une tempête de désespoir, une main pressée sur ma plaie sanguinolente. J'ai baissé les yeux pour constater la gravité de la blessure et vis avec effroi que mon sweat avait pris une teinte de pourpre. La fleur écarlate s'épanouissait un peu plus à chaque seconde malgré l'appui de Marley pour faire cesser l'hémorragie.
Non. ça ne pouvait pas être réel, ça ne pouvait pas se finir de cette façon là...
Je n'avais presque pas mal, je ressentais juste une lourdeur et des étourdissements.
Mes yeux se sont ancrés sur la jolie brune, au moins pour la détailler une dernière fois. Elle fixait l'horizon, comme en quête d'un secours invisible. J'ai essayé de dire quelque chose, mais ma voix restait enfermée à l'intérieur.
À la place, une larme solitaire roula sur ma joue, avant de mourir sur le coin de mes lèvres ensanglantées.
Ça ne pouvait pas se finir comme ça, pas maintenant...
Le ciel a tourné au dessus de moi. Les contours de ma vision d'obscurcissaient peu à peu. Relevant la tête dans un effort surhumain, j'ai croisé le regard de Marley posé sur moi. Son visage était torturé, et au combien dévasté.
Je sentais la vie me quitter, pareille à une douce brise venant caresser ma peau. Ses yeux de glace tentaient en vain de chercher une lueur de vie dans mon regard. Je ne voyais plus. Son image se troublait. Mais à présent je savais, elle pleurait, ses yeux étaient brouillés par les larmes, les sanglots étranglaient sa voix, qui m'implorait de m'attacher à la vie, à elle.
- Je t'avais intimé qu'un tel amour te tuerait...que je m'éprenne de toi était la pire chose qui pouvait t'arriver...
J'ai essayé de crier, mais tout s'est mis à tournoyer autour de moi et je me suis laissée m'écrouler sur le sol froid en ne distinguant plus qu'un horizon flou qui rétrécissait rapidement au bout d'un tunnel.
Quelque part dans le lointain, j'ai alors cru entendre d'autres voix familières, des sanglots et bruits de pas autour de moi.
Puis le tunnel s'est refermé, le noir a tout envahi et tout s'est arrêté.

Fleur de glace ~ Tome 1 : l'envoûtante ténébreuse Où les histoires vivent. Découvrez maintenant