1.
Jenny avait posé son regard sur mes muscles saillants. Elle avait eu le privilège de les effleurer du doigt, de m'embrasser ainsi que de me serrer dans ses bras pendant près d'une semaine. Elle en avait presque pleuré de joie la première fois, du moins, je le supposais avec une grande certitude... Ce n'était habituellement pas le genre de fille à accepter une telle proposition, mais notre attachement mutuel était aussi flagrant que ma beauté surhumaine. Je jouais de sa culpabilité pour l'avoir occasionnellement, sans rien lui donner en échange. Il arrivait quelques fois que je me comporte en gentleman dans mes humeurs les plus charmeuses, et puis d'autres fois où je ne l'étais plus du tout. Jenny était perdue, mais pas autant que je l'étais. J'avais toujours pensé qu'elle refuserait de jouer à ce jeu tordu, mais finalement, elle m'avait prouvé qu'elle n'avait pas froid aux yeux et m'avait mis dans une posture indélicate.
J'avais secrètement espéré qu'elle conteste, qu'elle me rejette et qu'elle se batte pour en revenir à notre ancienne situation après quelques jours, mais elle n'avait rien fait de cela. J'étais bloqué par mes sentiments. Traître jusqu'au bout des ongles. Etant celui qui avait instauré ce stricte protocole et ce climat glacial entre nous, je ne pouvais plus faire marche arrière. Une violente envie de vengeance demeurait. Comme un désagréable goût d'amertume qui subsistait dans mon palais des heures après la dégustation, mais dès qu'elle apparaissait dans l'allée, mon cœur s'emballait, mes yeux s'embuaient et je n'étais plus maître de rien. Etais-je assez fort pour lui pardonner ? Ou bien plus fort encore pour la rayer de la carte ? Les vacances approchaient à grands pas et je ne connaissais toujours pas la réponse à la question. Je haïssais cette stupide mélancolie qui m'emplissait le cœur. Et je ne parlais pas seulement de Jenny. Mon royal Palace allait profondément me manquer. J'observais le taux de fréquentation de Robert E. Lee, en baisse de jour en jour. Dans quelques temps, j'élirais le nouveau roi du lycée et je devrais dire adieux à mes privilèges de souverain pour recommencer au bas de l'échelle dans un tout nouveau royaume : L'Université. Aujourd'hui, la conseillère d'éducation étudierait de façon décisive nos candidatures et nos vœux de fin d'année devant son café brulant. Elle ferait cliqueter son effroyable instrument de destruction sociale, rien qu'en cochant une toute petite case et ferait sûrement beaucoup de blessés. Une toute petite case qui déterminerait si oui, ou non, vous pourriez quitter cet endroit et obtenir la voiture que vos parents vous avaient promise pour votre anniversaire. Ensuite, après la case viendrait l'étape du micro, avec lequel elle nous convoquait un par un tout le long de la journée afin de nous annoncer le verdict. C'était ce que nous appelions tous, d'une façon très tragico-dramatique, « Le Jugement Dernier ». Madame la conseillère se transformait alors en Jésus, et faisait parvenir les documents à signer au grand Dieu tout puissant sur Terre : Monsieur Harraldson. En ce matin ensoleillé, tout le monde se lançait de sales regards. Du genre intrigué, désespéré ou carrément menaçant. Nous nous interrogions tous sur l'identité des grands loseurs de la promo. Ceux qui seraient forcés de quitter le bateau en passant par la planche et que nous n'aurions pas l'occasion de voir l'année prochaine, dans les beuveries étudiantes ou dans la grande bibliothèque. Je m'étais finalement beaucoup attaché à ses vieux locaux décrépis et puants. J'allais peut-être même regretter mes enseignants. Certaines études ont démontré qu'un prisonnier fini par apprécier son milieu carcéral au bout d'un moment, peut-être que c'était mon cas... Et dire que même Philips allait me manquer. Il venait de passer dans le couloir, des copies regorgeant de traits et d'appréciations au marqueur rouge dans les bras. L'odeur de sa répugnante eau de toilette bon marché avait envahie l'allée, mais aussi étonnant et fou que cela puisse paraître, c'était déprimant. Je errais comme une âme en peine dans le corridor des casiers, observant sur toutes les coutures mes ex aux courbes de rêve en soupirant, désespéré à l'idée de ne plus jamais pouvoir y poser mes yeux. J'avais l'impression de vivre un cauchemar, une vie paradoxale où j'avais bel et bien aimé Robert E. Lee. J'étais en totale contradiction avec mes principes de sans-attache beau et con.
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Love comes from Hate
Teen FictionNathan Bellamy déteste les stéréotypes. Et pourtant, à presque dix-huit ans, son existence-même est celle de l'adolescent rebel, sarcastique et imprévisible que tout parent sain d'esprit craint d'avoir. Involontairement roi du lycée de Burwell, sa...