Chapitre 6

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Lorsqu'il put enfin se coucher, la musique battait encore dans son crâne. Il avait apprécié la performance malgré lui. La musique avait été primitive et le chant avait été pur, comme arraché à vif. Il avait été si immergé dedans qu'il en avait oublié sa faim. Il s'effondra sur la couche de fortune qui avait été installée pour lui sur le sofa du petit salon. Il avait été soulagé de savoir qu'il n'aurait pas à dormir par terre.

Ce fut un coup de pied dans les côtes qui le réveilla. Skuti se tenait au-dessus de lui, les mains sur les hanches.

- Debout, chien. Tu dois aller chercher le petit-déjeuner de Sa Seigneurie.

Vestar ne put retenir un sifflement de douleur lorsque tous ses muscles se mirent en mouvement. Il s'obligea à pousser, suivant Skuti jusque dans les tréfonds du château. Les cuisines étaient logées au premier sous-sol, à l'écart des feux des étages supérieurs. Juste avant de passer les portes, le couloir était si frais que la chair de poule couvrait la peau de Vestar. Une fois les portes passées, la chaleur fut étouffante.

- Tu es en retard, Skuti, l'apostropha le cuisinier.

- Va dire ça au chien, répliqua le concerné. J'ai dû aller le réveiller.

L'énorme cuisinier laissa exploser un rire tonitruant qui ne perturba que Vestar. D'une main de la taille d'un plateau à thé, il désigna un comptoir. Dessus, un petit-déjeuner copieux était servi. Des pâtisseries encore fumantes offraient une odeur sucrée alléchante. À côté de l'assiette, un verre de lait, un second verre vide et une carafe.

- Qu'est-ce que tu attends ? lui cria Skuti. Dépêche-toi !

Vestar soupira mais obtempéra. Avoir autant de délicieuse nourriture sous le nez ne l'aida pas. Devoir remonter jusqu'aux quartiers princiers non plus. Au bout de la seconde volée de marches, il dut se rattraper à la rambarde, pris du vertige violent. Il sut, par un quelconque miracle, maintenir le plateau. Une seule goutte de lait tomba sur l'argent.

- Qu'est-ce que tu fous ?

Vestar inspira profondément avant de rattraper le serviteur. Skuti lui ouvrit la porte et le laissa entrer dans le petit salon encore plongé dans le noir. Comment il avait réussi à sortir de là sans se heurter à un meuble, il l'ignorait. L'instinct, sûrement.

Skuti alla ouvrir les rideaux, laissant entrer une lumière blafarde et violente. Vestar posa le plateau sur la table du petit salon et observa Skuti aller ouvrir les rideaux de la chambre. Il ressortit aussitôt et venir attendre près de lui, les mains dans le giron. Vestar garda sa position habituelle, le dos droit et les bras croisés.

Alrek paraissait frais comme la rosée en sortant de sa chambre. Il alla s'asseoir dans le siège face à la table et Skuti poussa Vestar. Du menton, il lui fit signe de le rejoindre. Vestar ferma brièvement les yeux avant de se résigner à aller s'agenouiller à côté du prince. Ce dernier fit un vague geste de la main vers Skuti pour le congédier. Le serviteur sortit sans faire le moindre bruit.

Vestar ne lâcha pas l'assiette de pâtisserie du regard. La faim le tenaillait. Il enfonça ses poings dans son ventre pour le faire taire. Il lui restait encore assez de fierté pour ne pas laisser savoir au prince qu'il était affamé. Toutefois, le léger mouvement de ses mains attira l'œil d'Alrek qui s'attarda sur lui.

- Sers-moi un verre d'eau.

Vestar cilla avant de se hisser sur ses jambes, vacillant légèrement, et d'obéir en serrant les dents. Il retrouva sa place à la droite du prince, à terre, manquant de s'effondrer dans la descente. Il fallait qu'il mange quelque chose. Il n'avait pas eu assez de nourriture depuis son départ de Northedge. Il avait vécu par rations plusieurs mois auparavant pour habituer son corps au manque de nourriture mais rien n'aurait pu le préparer à un tel régime. Il n'avait pas eu un seul repas correct depuis sa capture. Il avait manqué plus de repas qu'il ne pouvait en compter. Maintenant qu'il avait pu dormir son compte, ça lui tombait dessus et l'affaiblissait.

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