Chapitre 23

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Il dut faire face à Alrek le lendemain matin. Il devait reprendre la routine quotidienne du prince sans quoi, son absence répétée soulèverait des questions et des soupçons que ni lui ni Alrek ne tenaient à affronter.

Il ne put que remarquer que le prince héritier était déjà levé lorsqu'il sortit de sa chambre. Il regardait la pluie battre les fenêtres, la tête appuyée contre le dossier du sofa. Sa longue chevelure blonde dévalait l'arrière, touchant presque le sol. Un malaise tordit la gorge de Vestar à l'idée de devoir refaire les tresses d'Alrek. Son attelle se rappela à sa mémoire. Quelqu'un d'autre allait devoir s'y atteler à sa place.

- Tu es levé.

- Oui.

- Tu peux venir t'asseoir. Le temps de ta guérison, quelqu'un va te remplacer.

Il hocha la tête et partit vers son coussin. Ce fut la main d'Alrek qui l'empêcha de s'agenouiller dessus. Il le tira jusqu'au sofa et l'y fit asseoir.

- Entre nous, tu n'as plus besoin de faire semblant. De nous deux, je suis celui sans trône.

- Je n'ai pas le mien non plus.

- Si ta mère ne s'était pas joué de toi, tu serais dessus. Dès que tu remettras un pied à Ceramos, ton peuple te reconnaîtra et détrônera ta mère.

Si seulement c'était aussi simple. Depuis tous ces mois, Elina devait avoir consolidé son pouvoir sur le peuple. Si même les régents du roi Caspar ne parvenaient pas à la maîtriser, des paysans n'allaient pas pouvoir faire grand-chose. Il avait besoin d'une armée pour faire face à sa mère. Il ne pouvait pas compter sur un miracle.

- Je doute de pouvoir récupérer mon héritage sans une guerre. Et je n'ai pas envie d'avoir à affronter ma propre mère.

- Je me doute.

Il frémit lorsque la main du prince se posa sur la sienne. Ce côté tactile était inhabituel et perturbant. Il créait un conflit en Vestar qu'il lui était encore impossible de résoudre. Il le laissait faire, sans savoir si c'était par pitié, par empathie ou parce qu'il en avait envie.

Il ne la retira que lorsque Sakari ouvrit la porte pour laisser passer un servant avec un lourd plateau. Le poing de Vestar se crispa en voyant Skuti apparaître. Il tourna la tête vers Alrek qui avait son visage de cour.

- Merci, Skuti, dit-il posément lorsque le servant posa le plateau.

- Voulez-vous que je m'occupe de vos cheveux, Seigneur ?

La voix sucrée du servant donna envie à Vestar de lui fracasser le crâne à coup de carafe.

- S'il te plaît.

Il fusilla Alrek du regard face à son extrême politesse. Jamais n'avait-il eu droit à un « s'il te plaît » depuis qu'il avait été forcé de prendre la position de knähund. Pourquoi ce traître y avait-il droit alors qu'il l'avait presque tué ?

Sans se préoccuper du servant qui lui tressait les cheveux, Alrek se pencha sur lui et murmura à son oreille :

- Nous avons besoin de lui. Il a des liens très utiles.

- Est-ce une raison pour pardonner ce qu'il a fait ? Pour lui parler avec autant de miel ?

- Parfois, il faut savoir utiliser ses ennemis.

- Les utiliser, oui. Ce que vous faites, ce n'est pas l'utiliser. C'est coucher avec une vipère.

Le prince fronça les sourcils.

- Pardon ?

- Je suppose que vous ne connaissez pas cette expression. Elle vient de l'idée qu'une vipère, même en apparence parfaitement domestiquée, finira toujours par vous mordre et vous tuer. Vous pensez avoir la main-mise sur lui mais il sera le premier à vous trancher la gorge dans votre sommeil si vous lui en donnez la chance. Surtout avec ce double jeu à peine subtile que vous vous amusez à jouer. Vous le flattez d'une main et me caressez de l'autre. Je doute que cela vous attire sa loyauté. Encore plus avec tout ce qu'il s'est déjà passé.

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