Deceit

Chapitre 14

Il échappa de peu à une punition pour le baiser qu'il avait offert au condamné. Contre toute attente, Alrek s'était interposé en sa faveur. Il avait argué que, s'ils pouvaient exiger de lui qu'il participe à l'exécution de l'un des siens, ils ne pouvaient pas lui retirer le droit aux rites d'adieux céraméens.

Sauf que ce n'était pas un rite d'adieu officiel. Le vrai rite consistait en un baiser sur le front, pas sur les lèvres. S'il avait choisi cette variante, c'était exactement pour ce qu'il avait obtenu : une revanche envers le roi qui avait traité cela comme un spectacle.

Les hurlements de souffrance de l'espion résonnaient encore dans son crâne. Il n'allait pas les oublier de si tôt. Cette exécution avait été d'une barbarie innommable. Ils prenaient plaisir à insulter Ceramos et à les traiter de barbares mais rien de ce qu'ils avaient pu faire pour exécuter leurs ennemis n'avait ressemblé à cela. Rien n'avait été aussi cruel et horrible

Il ne parvint pas à avaler quoi que ce soit au dîner qui suivit. Il resta agenouillé sur son coussin, écoutant les discussions autour de lui pour savoir ce que son geste avait déclenché. Ce qui le choqua le plus, ce fut de voir que personne ne parlait de l'exécution en elle-même. Ils ne parlaient que du baiser. Il était évident qu'il les avait choqués. Chez eux, c'était si tabou que, même ceux qui se montraient très proches de leur knähund se récriaient bruyamment face à une telle vision.

Ils étaient d'autant plus outrés que le prince dont ils voulaient tant se débarrasser avait soutenu Vestar. Plus d'une fois, il avait entendu des conseillers et des lords dire « il va recommencer » ou « ça recommence », toujours accompagné d'une manifestation d'embarras et de honte sur le roi et la cour. Cependant, Vestar avait remarqué que, quoi que fasse Alrek, l'entourage du roi trouvait toujours le moyen de le dénigrer aussi ne prêta-t-il qu'une oreille distraite aux imprécations.

Il avait beau savoir que ce qu'il avait fait était la meilleure solution – si ce n'était la seule solution –, il se sentait sale. Il avait l'impression d'avoir trahi son peuple en assassinant l'un des siens. Malheureusement, sa mission était plus importante que la vie d'un espion. Son geste lui permettait de s'infiltrer un peu plus profond à la cour. Nombreux étaient ceux pour lesquels il était docile et domestiqué par le prince. Rares étaient ceux qui, plus intelligents, se doutaient que ce n'était qu'une méthode de survie.

Le prince était le seul qui saisissait une vaste majorité des réelles implications de ce qu'il avait fait. Autant pour lui-même que pour Vestar. Le geste avait été difficile mais il leur donnait à tous les deux un peu plus de temps pour trouver un autre moyen de contrer leurs détracteurs.

Lorsqu'ils furent tous deux enfermés dans leurs quartiers, le prince s'arrêta et lui fit face.

- Tu as fait le bon choix. Bien que le baiser n'ait pas été nécessaire et quelque peu excessif.

- Pourquoi ? Parce que j'ai secoué vos morales si conservatrices ?

- Si tu avais évité cette manifestation de rébellion, toi comme moi aurions pu nous débarrasser des yeux scrutateurs des alliés de mon père. Au lieu de cela, nous pouvons tous deux être certains d'être scrutés comme deux animaux en cage pour la simple raison qu'ils se sont en mis en tête qu'il y avait une quelconque... relation entre nous.

Vestar se mit à rire de ce rire froid et moqueur qu'ont les personnes qui s'amusent des désillusions de gens qu'ils abhorrent.

- Pour un peuple qui ne supporte pas l'idée de deux hommes ensemble, vous y pensez bien souvent. Je me demande ce que cela peut bien cacher.

Les lèvres du prince se serrèrent en une fine ligne tandis que Vestar s'approchait de lui.

- Ne rêvez pas. Je l'ai fait pour sauver ma vie et protéger la princesse Anda. Si ma vie avait été la seule chose dans la balance, je n'aurais pas tranché ces cordes. Je les aurais laissé vous arracher votre couronne et j'aurais ri en pendant au bout de ma corde.