Vestar se retrouva les mains liées devant lui, attaché à une longue corde. Le garde qui tenait l'autre bout la tendit à son prince lorsque celui-ci sortit du château. La main gantée du futur souverain se saisit de la corde après être monté en selle et l'attacha au pommeau. Vestar calcula ses chances de se dégager s'il tirait un coup sec dessus.
Il relâcha un souffle en renonçant à cette idée. Tout ce qui restait du plan qui avait été échafaudé tournait autour de lui finissant à la cour d'Isstad. Il avait eu la nuit pour accepter l'idée que ça serait en tant que knähund et pas en tant que trophée de guerre.
Si Alrek d'Isstad était arrivé à Ceramos avec une armée, il repartait avec un faible contingent de soldats pour faire le voyage retour. Tout au plus, ils devaient être une trentaine. Ils suivaient leur prince plutôt que de l'entourer. C'était une erreur pour plusieurs raisons.
La première était purement stratégique. Un bon archer serait capable de ficher une flèche dans la royale tête blonde avant que quiconque ait pu réagir. C'était d'ailleurs un miracle que ça ne soit pas arrivé.
La seconde, ils ne pouvaient pas la deviner. Vestar tourna la tête vers le peuple, croisant le regard de nombreuses personnes dont les yeux s'écarquillèrent. Il grava dans sa mémoire les maisons incendiées, le sang qui imbibait les routes, les visages fatigués et couverts de suie. Cette sortie allait raviver la lutte. Ils pensaient sûrement avoir soumis les céraméens mais ils venaient de leur donner une nouvelle raison de se battre.
Toutefois, cette erreur pouvait être à double tranchant. Il suffirait désormais d'un mot de trop pour que tout échoue. Cependant, il connaissait ce peuple. Il savait comment il fonctionnait. Dès l'enfance, il avait chapardé sur les marchés, couru à toutes allures entre les jambes des dames et des seigneurs, visité chaque maison. Il les connaissait et savait qu'ils se tairaient. Ils étaient intelligents. Ils comprendraient ce qu'il se passait sans que personne ait à leur dire quoi que ce soit.
Il trébucha lorsque le prince Alrek tira sur sa corde. Il ne prononça pas un seul mot, sachant qu'il n'en avait pas besoin. Il traversa Northedge, son étalon fendant la foule. Les rares badauds qui osaient lui cracher dessus se voyaient la gorge tranchée. Purement et simplement. Leur procession sema une traînée de cadavres que les familles endeuillées devraient ramasser et enterrer.
Vestar regarda le prince. Sa monture était d'un blanc laiteux et ressortait fortement sur le paysage coloré qui l'entourait. Il se tenait droit, une ligne parfaite commençait du haut de sa tête et atteignait le bas de son dos. Même son cheval avait la courbe parfaite dans l'encolure. Tous deux possédaient la même fierté et la même arrogance.
Ils sortirent de Northedge et l'atmosphère parut changer. Cette fois, les gardes vinrent former un cercle autour de leur prince, à la fois vigilants et relâchés. Ils avaient cette attitude qu'ont les soldats entraînés à escorter des figures importantes. Ils ne restaient pas raides et dans un état d'alerte constant. Leurs épaules étaient lâches, ils discutaient à voix basse entre eux, quelques rires éclatant de temps en temps. Malgré tout, Vestar savait qu'ils verraient le moindre danger se profiler.
Il ne pouvait que voir qu'ils étaient aussi bien entraînés que sa propre compagnie. Il avait été obligé d'apprendre rapidement comment fonctionnait l'armée et son esprit avait tout enregistré. Cependant, ce n'était pas dans ce domaine que son cerveau était le plus affûté. Il s'était obligé à aiguiser sa capacité à comprendre le langage corporel. Il avait cherché à définir un moyen de prédire les dires ou les actes de quelqu'un rien qu'en le regardant. À trouver des traits de caractères dans sa posture, son langage, son attitude seul et en compagnie.
Autour de lui, la camaraderie était visible. Même le prince n'était pas totalement isolé. Alrek d'Isstad était détendu, la main lâche sur les rênes, les épaules relaxées, la posture moins rigide. Parfois, un soldat lui parlait et il répondait. Ses paroles n'étaient plus aussi narquoises et mesquines que dans la salle du trône. Il avait la voix posée, sans inflexion particulière. Froide.

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Deceit
FantasiLorsque le royaume d'Isstad envahit Ceramos, l'ennemi ne fait pas face à un peuple en panique mais à un peuple préparé. Depuis longtemps, un plan a été formé pour contrer l'envahisseur et Vestar en est la clé. Il sait ce qu'il a à faire et comment s...