Chapitre 6 | Partie 1 : The Jam At Gerry's Rock

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ARLETTE

Arlette avait l'impression de flotter. Elle marchait sur un sentier de terre, qui serpentait sur une colline surplombant la vallée. Les herbes longues qui cachaient le sol imprégné d'eau avaient déjà pris les teintes jaunes du début de l'automne. 

Au loin, au milieu de l'océan vert sombre des conifères, une tache rouge subsistait, un grand érable dont les graines continuaient de se répandre dans la forêt comme s'il continuait bravement la même lutte chaque année pour colorer le paysage et imposer ses tons chatoyants. Le soleil de fin d'après-midi restait doux et ses rayons chauds étaient parsemés par de grands cumulus passant dans le ciel. Le temps semblait s'être arrêté, comme si la jeune femme était coincée dans un tableau. 

Elle se tourna vers le haut de la colline qu'elle avait quitté et regarda les remparts à flanc de roche du prieuré. La statue de la Vierge qui fixait la vallée en ouvrant ses bras comme si elle embrassait la misère du monde lui parut soudainement plus vivante. Elle était perchée tout en haut d'une tour, côtoyant les cieux avec les rapaces. Le prieuré était entouré de remparts faits de vieilles pierres jaunes qui ressemblaient plus à des ruines. 

Tout ce paysage était encore beau, lisse, paré de belles couleurs. Arlette fixa les bâtiments avec appréhension, puis se retourna vers les fermes qu'on pouvait voir au loin, entre les champs vallonnés et les bois. Ce n'était pas un tableau peint par un artiste, mais une scène qu'elle avait vécu. Si le temps n'avait plus lieu, c'était parce qu'il n'avait aucune raison d'exister. Cet espace seul comptait. 

C'était un souvenir qu'Arlette s'était souvent forcée à revivre. Il revêtait une importance particulière pour elle. C'était un souvenir « de la minute ». Cette minute qu'on ne réalise qu'après, qu'on vit totalement, intensément, sans se poser de questions, une minute avant que tout devienne cauchemardesque, avant que la mémoire soit souillée d'horreur. 

Cette minute était un symbole de l'innocence de tous les hommes, une minute avant le désastre. Elle lui rappelait qu'il y avait toujours un avant. Et un après.

Le souvenir se terminait. Il ne se terminait pas par un écran noir, ou un rideau qui tombe, mais par le retour du temps. Les hirondelles dans les champs et les passereaux se remirent à chanter soudainement. Le vent sifflait dans la tour du prieuré. La cloche de l'église sonna quatre heure moins le quart. Tout semblait calme. 

Puis elle entendit le bourdonnement lointain qui approchait. Elle chercha dans l'horizon les ombres qui traverseraient le ciel d'une minute à l'autre. Mais les cieux restaient clairs, les même qu'une minute avant. C'était comme si la nature n'avait aucun sens du dramatique. Le paysage était toujours beau, bucolique, les nuages continuaient impitoyablement leur course, beaucoup trop belle et douce pour la réalité qui allait frapper. Les vrombissements s'intensifièrent, emplissant l'espace.

Soudain ils jaillirent derrière elle, passant en un éclair au-dessus du prieuré, rasant de près le corps de marbre blanc de la Vierge. Deux chasseurs. Deux oiseaux de mort aux ailes d'acier et aux croassements monstrueux. Ils partaient vers l'Est, déchirant le ciel magnifique de leur présence macabre et disparaissaient dans leurs effroyables râlements.

Arlette se réveilla en sursaut. Elle était allongée à l'arrière d'une voiture, sa jambe blessée enroulée dans un bandage blanc. Elle revenait du monde des cauchemars de feu et de fumée dans le ballottement de la route. Elle était donc encore en vie. Après l'enfer de la nuit, cette pensée la rassura un instant. 

Elle se dressa sur ses bras et regarda les deux personnes sur la banquette avant. Elle mit un instant à réaliser qui ils étaient. Betty et le contrebandier. C'était lui qui l'avait menacé deux jours auparavant. C'était l'un des frères de Betty, réalisa Arlette. Betty savait depuis le début les ennuis qu'elle avait eus avec eux. C'était pour cela qu'elle évitait d'en parler. 

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