ARLETTE
Arlette hésitait. La lettre de son oncle lui revenait sans cesse à l'esprit, comme un mal de tête lancinant. Il lui avait demandé de protéger la forêt, et cet homme disait qu'il était capable de l'aider, il lui proposait même un moyen de gagner de l'argent, et d'une façon étonnement intéressante par ces temps de crise.
Elle pourrait aider des gens qui n'avaient nulle part où aller. Mais elle devrait défricher une partie de ces bois magnifique... Au fond, elle n'avait que faire du racisme des gens de la région à propos des Irlandais.
Elle en avait toujours entendu du mal, surtout à Londres auprès de gens bien élevés, et rien que cela suffisait à les rendre sympathiques à ses yeux. Ils avaient souffert de la Famine, de la colonisation anglaise, et ils s'étaient battus en France et en Belgique. Arlette sentit des souvenirs remonter. Un hôpital au milieu des ruines à Amiens. Des soldats britanniques qu'on ramenait du Front.
C'était comme ça qu'elle avait appris la géographie de l'Europe, en collectant les noms des morts de l'hôpital et leurs villes d'origine. Newcastle, Dublin, Galway, Bristol... Autant de lieux liés à des souvenirs de morts. La jeune femme frissonna, sortant de ses songes.
—Et vous n'avez pas besoin d'un chalet, vous ?
Le visage de l'homme s'illumina. Avait-elle déjà accepté ?
—Eh bien, je loue une chambre à Bangor pour l'instant, et mon épouse est repartie chez ses parents quand j'ai perdu mon travail, si je pouvais avoir ne serait-ce qu'une cabane, elle reviendrait sûrement et...
—Je vais réfléchir à votre proposition. Où vivent ces gens actuellement ?
—Ils ont installé un camp au nord de Bangor, répondit Joshua en retirant son béret qu'il serra entre ses mains.
—Je voudrais les voir.
L'Acadien acquiesça humblement, il murmura un « merci Miss » de sa voix toujours vibrante d'émotion et se retourna vers Louis.
—Merci Louis, je vais... t'attendre à la voiture.
Il salua Arlette et les laissa seuls, en gardant son béret entre ses mains. Le garagiste l'observa s'éloigner puis se tourna vers la jeune femme. Il avait ce regard plein de fougue et d'intensité qu'elle se savait incapable de soutenir trop longtemps.
Elle fit un effort pour ne pas perdre contenance et prit un ton de reproche. Elle était plus troublée qu'énervée, mais en la mettant devant le fait accompli, il avait agi comme s'il était le réel maître des lieux. Elle se devait de protester.
—Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?
—Il est venu me voir aujourd'hui. Il cherchait un travail dans le coin et m'a même proposé de m'aider au garage. Je lui ai parlé de toi et... Il a monté tout ce projet en quelques minutes. C'est un type intelligent. Je crois qu'il a déjà travaillé à Pinewood. S'il connaît la région c'est un gros avantage pour toi.
—Tu lui fais confiance ?
—Oui, il est bien. Trop bien pour faire partie du business des grandes scieries. Il n'essaiera pas de te doubler.
—Et ces Irlandais ?
—Ces gens sont venus il y a quelques années déjà, ils en ont vu beaucoup depuis leur arrivée, tout ce qu'ils veulent c'est sortir de la misère...
Elle resta interdite, et se retourna vers la porte d'entrée qu'elle avait laissée ouverte. Elle imagina cette maison vivante, ses murs résonnant des cris d'enfants, des rires d'hommes et de femmes dans la cuisine et le salon.
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PINEWOOD
Ficción históricaMai 1930. Une jeune Française touche pour la première fois le sol américain. Elle vient recevoir l'héritage d'un oncle oublié, qui lui lègue des milliers d'hectares de terrain et une maison perdue au cœur des forêts du Maine, Pinewood. De ce lieu r...