ARLETTE
Un beau dimanche de février, Henry arriva à Pinewood en voiture aux premières heures du jour et invita Arlette à partir avec lui. Il portait un trois-pièces neuf qu'il avait mis sous un gros pull gris, qui lui donnait une allure étrangement élégante. Il transportait tout de même avec lui une vieille odeur qu'Arlette reconnaissait, celle du moût d'orge.
Elle laissa le bois qu'il lui restait à couper et partit avec lui. Il conduisit nerveusement sur la route gelée, tapotant le volant du bout de ses doigts gantés alors qu'elle le regardait sans comprendre l'agitation qui le prenait soudainement.
Il s'arrêta au beau milieu des bois, près d'une rivière et enfila ses raquettes avant de sortir précipitamment de la voiture. Sans rien expliquer, il lui ouvrir la portière. Dès qu'elle fut sortie, il couvrit la voiture avec des branches et de la neige pour la rendre méconnaissable et balaya les traces de pneu qui sortaient de la route.
Étonnée, Arlette mit ses raquettes et le suivit dans les bois enneigés. La tenant par la main, il la fit marcher pendant près d'une heure, en se retournant souvent pour écouter les bruits dans la forêt, à l'affut, comme s'il craignait qu'on ne les suive.
Ils arrivèrent finalement au bord d'un ruisseau gelé. Au détour d'une butte qui longeait le cours d'eau, Arlette découvrit avec surprise une petite hutte de bois couverte de neige. Henry sortit une clef et en ouvrit le cadenas pour entrer.
Elle le suivit toujours dans le silence, curieuse de voir ce qu'il pouvait bien cacher dans cette cabane perdue. Dès qu'elle entra dans la hutte, une odeur forte de fermentation lui assaillit les narines.
Dans l'obscurité, elle découvrit de grandes cuves en fer fermées avec des linges et des briques. Dans un coin étaient entreposés des sacs de toile blancs et des tubes de cuivre. Henry lui fit signe de sortir et fit rouler une cuve de cuivre à l'extérieur avec des trépieds. Puis il retourna à l'intérieur pour chercher une deuxième cuve de bois et de fer rouillé dans laquelle tintait une espèce de long tube tordu semblable à un ressort.
Il sortit alors du bois sec et le montra à Arlette en lui tendant son briquet.
—Tu peux faire un feu pendant que j'installe le reste ? Il faut qu'il soit concentré et sans trop grosses flammes. Il faut mettre des pierres autour.
—D'accord.
Sans réfléchir, elle commença à creuser un trou dans la neige et organisa le bois sec pour qu'il forme un nid en-dessous duquel elle plaça un morceau de papier qu'elle fit brûler. Pendant ce temps, Henry sortit un tonneau de bois plein d'un liquide odorant.
Il le filtra avec un linge sec directement au-dessus de la cuve de cuivre et la plaça au-dessus du feu qu'avait fait Arlette. Il mélangea la mixture et versa le contenu d'un des sacs blancs. Du sucre.
—On utilise toujours des cuves en cuivre, ça supprime les soufres pendant la distillation, déclara-t-il comme s'il dispensait un cours. Et on filtre le moût fermenté pour éviter que ça grille au fond de la cuve. Sinon ça risque de prendre feu. Là on va attendre que ça commence à fumer pour mettre le couvercle. Tu vas m'aider à monter le condensateur.
Elle le regarda, interdite. Il semblait parler comme s'il prenait la voix d'un autre, sur un ton qu'elle ne lui avait jamais connu. C'étaient les conseils donnés par son père, qui avaient été donnés par son grand-père avant lui. Avant qu'elle ait le temps de formuler une réponse, il lui tendit le tube en forme de ressort.
—Il faut le fixer au trou dans la troisième cuve. Entre celle-là et la première on va mettre un tambour pour que l'alcool travaille plus. Il faudra aussi qu'on verse l'eau du ruisseau tout au long de la distillation pour que ça reste froid. On va déjà en réchauffer un peu près du feu, il ne faut pas que ce soit trop froid non plus.
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PINEWOOD
Historische RomaneMai 1930. Une jeune Française touche pour la première fois le sol américain. Elle vient recevoir l'héritage d'un oncle oublié, qui lui lègue des milliers d'hectares de terrain et une maison perdue au cœur des forêts du Maine, Pinewood. De ce lieu r...