ARLETTE
Vers sept heure, Devin, Samuel et Henry arrivèrent avec Jim, apportant une lourde boîte d'un peu plus d'un mètre de hauteur. On appela Arlette pour qu'elle sorte de la cuisine et vienne voir ce qu'ils avaient amenés. Le salon était à présent rempli de quinze personnes. Ils étaient au complet.
—Il est pas encore minuit, mais on a tout de même dû l'amener ici, ça n'aurait pas supporté le froid dans la voiture, déclara Jim en boitant jusqu'à une chaise.
Devin et Samuel portèrent la boîte jusqu'à l'horloge et la collèrent au mur de l'escalier tandis qu'Henry faisait signe à Arlette d'approcher. Elle le rejoignit doucement, à la fois curieuse de découvrir ce que contenait la boîte et embarrassée d'être soudainement le centre d'attention de la salle, alors qu'elle portait encore son tablier sale et qu'elle avait le visage poisseux des vapeurs de la cuisine.
Devin et Samuel ouvrirent alors la boîte et en sortirent une table de bois étroite, ronde et haute. Entre ses pieds avait été calée une autre boîte que Devin saisit précautionneusement avant de la tendre vers Arlette.
—On a pensé que tu en aurais besoin maintenant que tu as une auberge renommée, déclara-t-il de sa voix rauque.
Elle prit la boîte et l'ouvrit doucement. Il y avait des fils électriques et une grosse forme de plastique noir qu'elle saisit. Étonnée, elle la souleva et réalisa que ce qu'elle tenait dans sa main était un combiné. C'était un téléphone. Elle se tourna vers Henry, émerveillée, et il évita de la regarder directement.
—On va le raccorder cette semaine, continua Devin en reprenant la boîte pour sortir le téléphone et le placer sur la table.
Ils avaient même choisi le bois du meuble pour qu'il s'accorde à celui de l'horloge à côté. L'appareil était d'un plastique noir rutilant qui donnait une impression de modernité jurant avec tout le reste de la pièce. Arlette ne savait plus où se mettre.
Elle chassa une larme d'émotion au coin de son œil et les Irlandais se mirent à applaudir, comme si ce moment n'était pas déjà assez gênant.
Heureusement pour elle, Betty prit immédiatement sa place de centre d'attention en saisissant le combiné pour faire l'imitation d'une conversation téléphonique qu'elle pourrait avoir avec Martha, à l'autre bout de l'Etat, pour se plaindre du beurre que Paddy mettait toujours en quantité astronomique dans tous les plats, créant l'hilarité générale.
Arlette profita de ce moment de répit pour s'approcher des deux Goliath qui étaient en train de chercher des fils dans la boîte.
—Merci beaucoup, Devin dit-elle d'une voix assez forte pour qu'il l'entende dans le brouhaha de la pièce.
Il chassa le remerciement d'un geste de la main comme s'il s'agissait d'un moucheron et son visage tordu se tourna vers elle, faisant une grimace semblable à un sourire.
— C'est pas moi, c'est Henry.
Elle se retourna et sursauta. Il était juste derrière elle.
—Ça aurait été moi j'aurais pris une radio, grogna-t-il nonchalamment.
—Mais on s'est dit qu'il valait mieux qu'il apprenne à parler, se moqua Devin en clignant de l'œil.
Henry s'excusa rapidement pour aller chercher l'alcool au garde-manger et Arlette fit de même pour aller se changer.
Ils passèrent les heures qui suivirent à manger et bavarder. Lorsque minuit sonna à l'horloge, tous se levèrent pour se souhaiter « Joyeux Noël » dans toutes les langues qu'ils connaissaient, en français, en irlandais, en anglais.
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PINEWOOD
Historical FictionMai 1930. Une jeune Française touche pour la première fois le sol américain. Elle vient recevoir l'héritage d'un oncle oublié, qui lui lègue des milliers d'hectares de terrain et une maison perdue au cœur des forêts du Maine, Pinewood. De ce lieu r...