KENNETH
Kenneth sortit de la grange et jeta sa cigarette dans la paille. Le bâtiment prit feu instantanément. Ils l'avaient préalablement enduit de tout l'alcool qu'ils avaient trouvé, n'en gardant que le nécessaire pour être certains de boire jusqu'à l'ivresse une fois le « sale boulot » terminé. Ils avaient commencé par la première adresse, puis avaient obtenu la deuxième, puis la troisième, puis une quatrième.
John n'avait pas perdu la main avec les interrogatoires, avait pensé Kenneth. Il connaissait des Irlandais à New York qui faisaient chanter leurs prisonniers s'ils voulaient, des artistes de l'horreur, mais John savait faire le boulot sans aller dans les pires recoins de ce que l'on pouvait infliger à un homme attaché, si on pouvait estimer qu'il y ait une échelle de violence pour cette besogne inhumaine.
Gary Fisher était le seul des cinq qui avait une vraie ferme digne de ce nom, quelque chose qui vaille la peine d'y faire un grand brasier. Paddy était entré par la porte de derrière. Il avait trouvé une femme et quatre enfants.
Après les avoir écartés, il était monté pour tomber nez à nez avec un fantôme tout de blanc vêtu. Un fantôme blanc à la tête pointue. Gary se préparait à rejoindre une réunion du Klan. Kenneth était entré en suivant Paddy. En voyant la croix blanche sur un cercle rouge cousue sur son habit blanc, il avait failli lui tirer dessus sans sommation. Mais ce n'était pas le plan.
Ils l'avaient amené à la grange, et là, ils avaient vengé Joshua.
A présent ils roulaient à bord de l'auto d'Arlette, descendant la rue principale de Bangor. Paddy et les gars s'étaient en chiens fous. Ils voulaient passer dans la cave d'un café, de n'importe quel speakeasy, s'envoyer quelques verres, puis aller au bordel chez Melvin.
Kenneth émettait plus de réserve. Ils venaient d'en finir avec un membre du Ku Klux Klan. Cela voulait dire qu'il y en avait d'autres, des gens qui l'attendaient à sa petite réunion. Il allait y avoir une place vide dans leurs rangs, pour leur veillée aux chandelles. Tous les hommes qu'ils avaient interrogés avaient nié un quelconque lien entre les Richter et ce qui avait été fait à Pinewood. C'était avec la milice du Klan qu'ils avaient prévu l'attaque. La croix enflammée qu'ils avaient pris le temps d'installer avant de partir était un signe assez clair.
Les Irlandais les connaissaient bien ces milices, il ne s'était pas passé une année depuis leur arrivée en Amérique sans qu'ils n'aient à subir leur harcèlement. Ces gens étaient partout. Dans les églises, dans les magasins, aux pubs, dans les commissariats, dans les écoles, les mairies. Ils enseignaient aux gosses de Charles et John qu'ils n'étaient qu'une vermine venue d'ailleurs, ils leur refusaient des emplois, des logements.
Maintenant il fallait s'attendre à voir débarquer tout le comté, ses petites-gens respectables comme ses contrebandiers. Tous pouvaient être des Klansmen. Cagoule blanche la nuit, bleu de travail le jour. Il ne fallait se fier à personne...
Ils entrèrent dans la cave du café par la porte arrière. On avait installé des tables et des chaises pour boire et un comptoir avait été mis sous les escaliers. Le tenancier avait changé depuis la dernière fois qu'ils étaient passés. Ils auraient dû s'en douter, Bangor était maintenant aux Richter, ils avaient « changé » les propriétaires de tous les commerces illégaux qui avaient refusé de changer d'allégeance.
Kenneth et ses hommes n'étaient plus les bienvenus, il le comprit rapidement. C'était une mauvaise idée de venir ici après ce qu'ils avaient fait. Le goût de la mort était encore dans leurs bouches, et c'était un goût de trop peu...
—Six verres, beugla Mickey en s'installant à une table.
Les gens se retournaient sur leur passage, les dévisageant. Ils discutaient entre eux. L'un parlait de plus en plus fort, incité par les autres à se lever. Ça allait bientôt partir en vrille, pensa Kenneth. Les autres commencèrent à s'échauffer en se charriant.
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PINEWOOD
Ficção HistóricaMai 1930. Une jeune Française touche pour la première fois le sol américain. Elle vient recevoir l'héritage d'un oncle oublié, qui lui lègue des milliers d'hectares de terrain et une maison perdue au cœur des forêts du Maine, Pinewood. De ce lieu r...