Chapitre 13 | Partie 1: Wildwood flower

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Arlette arpenta le salon de long en large jusqu'à ce que le soleil ne passe plus entre les rideaux. Ses pas étaient rythmés par le balancement du poids de l'horloge. Cette marche presque militaire la plongeait dans un état où le monde extérieur n'existait plus, où il n'existait plus que le rythme dans lequel elle s'oubliait. 

Ses pensées étaient dirigées uniquement vers l'avenir. Au départ, elle n'avait eu de cesse de penser à Joshua. Tous ce qu'ils s'étaient dit lui revenait à l'esprit. 

C'était terrible, il y avait tant de chose dont elle aurait aimé lui parlé, tant de questions qu'elle aurait aimé lui poser. Pourquoi connaissait-il si bien les Vosges, qui était sa femme, avait-il des enfants quelque part. 

Elle s'en voulait de ne pas avoir osé lui parler d'Armand. Elle se retrouvait seule, sans la présence réconfortante de l'Acadien, incapable de répondre à une seule de ces questions. Il lui manquait horriblement à présent. Elle n'arrivait plus à imaginer Pinewood sans lui. Ces bois, ces rivières et ces montagnes, c'était lui qui en était le gardien. 

Elle passa des heures à questionner le vide, puis ses interrogations disparurent peu à peu dans la résignation. Plus rien ne serait comme avant, et il faudrait tout de même avancer. Elle savait à présent qu'Armand et Joshua s'étaient connus. Il fallait qu'elle fasse quelque chose pour en apprendre plus. Il fallait qu'elle sauve les Irlandais de leur châtiment, qu'elle protège Betty puisque sa propre famille ne semblait pas apte à le faire, tout en respectant les volontés de son oncle... Ou plutôt les siennes. 

Elle ne protégeait plus Pinewood par un sentiment d'obligation pour un mort, mais parce qu'elle en avait fait sa maison, sa terre. Joshua avait peut-être réussi à déteindre sur elle, car elle se sentait à présent plus proche de chacun des arbres de cet endroit que des gens de Richmond. 

Proscrite depuis quelques jours sans pouvoir sortir sur son perron, elle réalisait soudainement à quel point elle avait besoin d'être dehors, ne serait-ce que pour profiter du lever du soleil ou de l'air nocturne de la forêt. Elle entendait l'appel des bois résonnait en elle comme un signal. Il fallait qu'elle sorte, qu'elle retrouve ses arbres, qu'elle plante ses pieds dans la terre et qu'elle étende ses branches vers le ciel. En vérité c'était elle à présent la gardienne de ces bois.

Elle fut stoppée dans sa transe lorsque l'horloge sonna sept heure. Elle sursauta et regarda autour d'elle. Il faisait aussi sombre que dans le fond d'une cafetière. Elle ne pouvait distinguer l'escalier du couloir. 

Elle se repéra au son des planches qui craquaient sous son poids et alla à la cuisine pour couper du pain et du fromage qu'elle sortit d'un torchon. Si elle avait fait un feu dans le poêle, la lumière aurait été visible dans la nuit. Elle sortit un plat sur lequel elle disposa les aliments avec du beurre et la tarte qui avait refroidie.

Une boule de peur lui nouait l'estomac. Est-ce qu'elle avait bien fait de refuser la proposition de Louis pour écouter celle d'un contrebandier, de son ennemi. Ce mot lui sembla bien étrange. Elle avait l'impression de le cerner de plus en plus, que son fonctionnement lui apparaissait plus clairement. 

Depuis son réveil, elle avait l'impression d'avoir découvert un homme dévoué pour sa famille et capable de compassion. Mais il était aussi gonflé d'orgueil, et il semblait se complaire dans son image de truand patibulaire. Ses actes parleraient plus que ses mots... Puisqu'il évitait d'en prononcer en général. En bref, elle ne saurait si elle avait réussi à le convaincre que lorsqu'il serait temps de passer à l'action. Cela promettait d'être désagréable.

Elle monta les escaliers et posa le plateau sur la table de la bibliothèque, au fond du couloir. C'était l'une des seules pièces sans fenêtres, et où elle pouvait donc allumer la lumière. Toujours dans le noir total, elle reprit le couloir pour se rendre dans sa chambre. Elle tourna la clenche de la porte doucement et écouta. Elle entendait la respiration profonde de l'homme qui dormait. Elle entrouvrit lentement.

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