— Allons, y'a pas que les glaces et les séries, dans la vie, ma vieille.
— Mais j'ai pas envie de sortir, Zara...
— Va bien falloir, tu bosses ce soir.
— Oui mais j'ai persuadé Jim de me faire commencer à 23h30.
— Tour de force... Bon, comme tu commences dans deux heures et demi, je vais t'emmener quelque part, tu m'en diras des nouvelles.
— Où ça ?
— Pas loin. Mon frère y va souvent, c'est cool, tu verras.
— Très bien. Alors on passe chez moi pour que je me change.
— Pourquoi tu veux te changer ? T'es très bien comme ça !
— Je veux mettre quelque chose de plus confortable.
Je me lève, récupère mon skate et sors de la maison. Sur le pas de la porte, Zara me fait un signe de main, et me hurle de me dépêcher. Oui, sur ce genre de plan à la dernière minute, je suis loin d'être la plus ponctuelle. Montant sur la planche, je prends de la vitesse. Maintenant, il va falloir convaincre mon père. Pour aller travailler, je fais le mur, habituellement. Et bien évidemment, mon cher Papa n'est pas au courant. Et en plus, il n'est pas super fan des sorties nocturnes que je fais avec mes amies. Enfin, on verra bien à la maison. En arrivant, mon père m'accueille, une tasse de café fumant à la main.
— Alors, cette journée ? Tu rentres d'où comme ça, d'ailleurs ?
— J'étais chez Zara. J'y retourne, d'ailleurs ; je vais dormir chez elle, ce soir.
— Hum... Très bien. Prends tes affaires de cours, pour demain.
— Oui, ne t'inquiètes pas ; l'éducation avant tout."
Tiens, il n'a pas été difficile, étonnamment. Tant mieux. Je monte quatre à quatre les marches de l'escalier et rentre dans ma chambre. Attrapant le premier T-shirt que je trouve, un T-shirt Nirvana un peu trop grand, je l'accompagne d'un short en jean bleu délavé. Pour éviter de me retrouver transie de froid dès la nuit tombée, je fourre un sweatshirt noir dans mon sac. Allez, c'est l'heure d'y aller. Quelques minutes plus tard, après avoir refait le trajet en sens inverse, je suis à nouveau chez mon amie.
— T'as toutes tes affaires ? Parfait. Mon frère va nous emmener. Tu veux manger quelque chose, rapidement ? Non ? Bon, on peut y aller. Lino !
Un jeune homme brun sort de la chambre en face de celle de Zara. Ses yeux verts rencontrent les miens, et... Oh, ils sont magnifiques, putain. Lino pourrait être top modèle. Lorsqu'il vient chercher Zara à la fac, tout le monde s'extasie devant son charisme, et il est fréquent que Zara ait besoin de refuser des numéros de téléphone pour préserver la vie privée de son frère. Je dois avouer que je comprends pourquoi toutes ces filles veulent l'avoir dans leur téléphone.
— Salut, Henderson.
— Tiens tiens, Mister Diaz. Alors comme ça, on sort souvent la nuit ?
— Bien sûr, c'est le bordel, là-bas. Les flics passent quelques fois par là, mais quand c'est le cas, tout le monde se taille et on n'a généralement aucun soucis.
— Je vois le genre. Aller, on te suit.
Ouvrant la porte du garage, nous sur ses talons, il nous conduit à sa voiture garée dans l'allée, une BMW M5 de 1995.
— Jolie caisse.
— Une E34, la crème des Série 5 ! Et encore, attends d'entendre le moteur.
Quand il démarre, je comprends immédiatement ce qu'il voulait dire. Un grondement sourd me parvient aux oreilles. On est presque obligé de crier pour parler, je parie qu'il n'y a pas un seul silencieux sur cette ligne d'échappement. Avec ça, difficile de passer inaperçu.A notre arrivée, une sacrée foule est déjà sur place. Peu coutumière de ce genre d'évènements, je jette de discrets regards autour de moi, histoire de voir à quoi j'assiste. Tout le monde semble joyeux, et d'après les looks que je peux observer, on retrouve deux catégories de personnes distinctes. La première, les aficionados, qui ne jurent que par la mécanique et la gomme de pneu. Voiture ou moto, ils sont intéressés par tout ce qui possède un moteur et des roues. Ça, c'est Lino. Malgré son physique à couper le souffle, il n'hésite pas à se salir les mains et à passer sous une voiture si besoin. Et la deuxième catégorie, ce sont les gens comme Zara et moi, simples touristes dans ce monde d'adrénaline, de sueur et d'huile de moteur. Des packs de bière déjà entamés traînent un peu partout, sauf au milieux de la route, encadrée par la foule. Au milieu, un homme se dresse entre deux motos, qui attendent derrière une ligne grossièrement tracée à la bombe blanche. Ce dernier donne le départ, et les deux motos s'élancent sur l'asphalte noire. Aussitôt, tout le monde les encourage à plein poumons, même si les pilotes ne les entendent déjà plus. Les motos disparaissent au coin de la rue, et Zara se tourne vers moi, les yeux pétillants.
— Alors ?
— C'est génial !
— Je savais que ça te plairait.
L'odeur de l'essence, le bruit environnant de moteurs, l'excitation générale... Je me perds dans ce monde, et mon cerveau adore ça. Étrangère à cet univers, je découvre une toute nouvelle vision du monde. Sortie de ma rêverie par Lino, je me tourne vers lui.
— Je vais rejoindre mes potes, faites-moi signe si vous bougez ou si vous voulez que je vous ramène.
— Pas de problème, Diaz.
Il m'adresse un clin d'œil et s'en va rejoindre un jeune homme tatoué en débardeur noir arborant une courte iroquoise, un casque sous le bras. Croisant le regard d'une des filles de leur groupe, je me heurte à un regard noir. Quelque chose me dit que Lino a une touche... Je reporte mon regard sur la ligne droite face à moi, juste à temps pour voir arriver les deux motos parties quelques minutes plus tôt. Le gagnant lève les bras au ciel et arrête sa moto un peu plus loin.
L'ami de Lino, le tatoué, s'avance vers la ligne et met son casque. Démarrant sa moto, une grosse sportive noire, il fait rugir plusieurs fois son moteur. Le starter hausse la voix, à la recherche d'un adversaire.
— Alors, personne face à Wayne ? Laissez-vous tenter, un petit défi sans personne pour le relever ? Sérieux ?
— Moi, ça me tente.
Un homme traverse la foule, à califourchon sur sa moto. La visière de son casque relevée, on ne voit que ses yeux sombres. Il s'immobilise près de Wayne et se tourne vers le starter. Je parcours des yeux la moto qu'il monte, une sportive anthracite au look relativement agressif. Une Triumph, d'après Lino. Apparemment, c'est rare de croiser des motos britanniques, ici.
— Parfait. Tu connais les règles ?
— Pas bien compliqué.
— Le circuit ?
— Pas totalement, si tu peux me le détailler ?
Le starter entreprend alors de décrire le tracé, et l'inconnu hoche la tête, prêt à en découdre.
— Allez, c'est parti. Faites attention à vous, les gars.
Les deux pilotes hochent la tête. Le dénommé Wayne entrechoque son poing et celui de son adversaire, qui commence à faire chauffer les pneus de sa bécane. Une dense fumée blanche envahit les lieux, prenant à la gorge. Le parfum de la gomme brûlée emplit temporairement l'air, rapidement balayé par la brise légère, rafraîchissant par la même occasion la température ambiante. Le starter donne le départ et la Triumph prend une brusque accélération. La moto de son concurrent commence peu à peu à la rattraper, et ils disparaissent de notre vue au même niveau. Autour de moi, les gens parlent.
— Tu pense que Wayne va le rattraper?
— Bien sûr, ça fait un bail qu'il domine.
— Quoique, t'as vu ce mec? Il avait l'air de savoir s'y prendre.
— On verra bien. J'ai hâte de voir le résultat.
Apparemment, Wayne est le champion local. Invaincu depuis plusieurs courses, la majorité des gens le supporte. Zara revient vers moi avec deux bières à la main et m'en propose une.
— Zara, je vais bosser dans une heure à peine, je ne suis pas sûre que...
— Allez, Hope ! Une bière, ça ne va pas te tuer !
— Je suppose que tu as raison...
— T'as intérêt à la boire, cette fichue bouteille ! Si on est sortie ce soir, c'est aussi pour que tu en profites !
J'éclate de rire et trinque avec elle avant d'avaler une gorgée. Le liquide ambré dévale ma gorge. Bien que je ne sois pas une grande fan de bière (au grand regret de mes amies), je dois avouer que ça peut être agréable, des fois. Soudain, des grondements de moteurs résonnent entre les bâtiments alentours, signe que les deux motos se rapprochent. Déjà ? Au milieu de la foule, je me tords le cou pour avoir ne serait-ce qu'une petite vision des deux fusées qui reviennent. Zara montre avec frénésie la première moto, une sportive grise. La Triumph. Au coude à coude, c'est pourtant Wayne qui passe la ligne d'arrivée après lui, à quelques centimètres près. S'arrêtant en dérapant, il descend de sa moto et s'approche du nouveau venu. Celui-ci retire son casque, et Zara m'attrape le bras.
— Mais... On le connaît, lui ! Il n'est pas dans ta promo ?
En effet, c'est le mec qui est arrivé en retard ce matin. Ses cheveux en pétard le rendent sacrément beau. A la différence de Lino, il dégage quelque chose de... sauvage. Serrant la main de son adversaire, il esquisse un sourire. Un sourire ? Malgré sa victoire, il ne semble pas en tirer autant de fierté que les autres. Étonnant. La voix de Zara me tire de ma contemplation. Victime d'une bousculade, elle s'agace dans sa barbe.
— Mais ! Laissez-moi un peu de place, bon sang ! Tu viens, Hope ? On va le voir ? Comment il s'appelle, déjà? Khalil? Kelly? Kela...
— Kelan.
— C'est ça !
Alors qu'on se rapprochait de lui, ce dernier tourne les talons, accompagné de son adversaire et d'un autre homme, blond, dont le visage m'est familier. Zut. De toute façon, je n'aurais pas su quoi dire, alors ça n'est pas plus mal. Mais à voir la tête de Zara, ça a de quoi être sacrément décevant.
— Bon ben, tant pis ; une autre fois...
Mais heureusement, Zara trouve rapidement une façon de se consoler. Assises sur le toit de la voiture de Lino, on profite du spectacle pendant le temps qu'il nous reste, profitant de la nuit noire à la lueur des phares.
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One More Hope
Teen FictionOriginaire de Chicago, Kelan a déménagé l'année suivant la mort de son père. Depuis, il reconstruit progressivement sa vie à New York, où il vit seul avec sa mère tout en essayant d'éviter les problèmes. Mais chassez les ennuis, ils reviennent au ga...