18. Une histoire de hardflip - H

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Hope ! Lève-toi !
Hmmm.
J'ouvre un œil, puis deux. Ma tête tourne, et mon estomac m'indique qu'il vaut mieux que j'évite d'ingérer quoi que ce soit pendant les prochaines heures. Mes habits de la veille sont froissés au pied du lit, posés à même le sol. Deux traces de mains distinctes ornent mon short. Qu'est-ce que... Ça y est, je me souviens. C'était ce joli blond, là. J'ai fait ça pour voir si Kelan en avait vraiment terminé avec moi et apparemment, il n'a pas trop aimé la scène. Une vive culpabilité s'empare de moi quand je pense qu'il aurait pu se tuer, juste.. juste à cause de ce que j'ai fait. A supposer que ce soit bien à cause de moi. Putain, j'ai vraiment fait la conne, sur ce coup-là.
J'ai vraiment une gueule de bois d'enfer, Kali...
Kalista réplique en retirant les draps, me livrant au froid matinal. Je me crispe, me lève doucement et enfile un jean pour trouver un peu de chaleur, bien nécessaire au vu de la température ambiante.
Alors, cette soirée, hier soir ?
La vision de Kelan, une traînée scintillante sur les joues, a hanté mon esprit toute la nuit.
Mmmh.
Dis-donc, t'as gardé le numéro de ce petit blond, là ?
Quel numéro ?
Tiens, c'est pas ça ?
Elle ramasse un papier plié, traînant près de mes vêtements. Les coins écornés m'indiquent qu'il provient sûrement de la poche de mon short. Lui prenant le papier des mains, je jette un œil au numéro inscrit dessus, puis déchire brusquement le papier avant de le lâcher dans la poubelle, sans réaction.
Qu'est-ce que... Eh, j'aurais bien aimé le garder moi, ce numéro ! Pourquoi t'as fait ça ?
Elle s'interrompt, regardant probablement mes yeux, fixant un point lointain. Ouvrant la bouche, elle me demande doucement :
C'est Kelan, c'est ça ?
Je ne réponds pas, perdue dans mes pensées, réfléchissant à l'enchaînement loufoque qu'est devenu ma vie en ce moment. Kalista s'approche et pose tendrement une main sur mon bras.
Pourquoi tu ne vas pas tout simplement le voir ?
Il est trop distant, et je... je lui ai dit des choses horribles.
Tu sais, vu son attitude hier soir, ça n'a pas dû le toucher beaucoup.
Non, tu ne comprends pas. Quand j'ai regardé ses yeux, je... j'y ai vu tellement de détresse...
Tu sais, s'il n'en parle pas, c'est qu'il veut que personne d'autre ne puisse y accéder.
J'ai vraiment agi comme une conne. Il faut que je prenne du recul sur la situation, et le plus vite sera le mieux. Quittant Kalista, je lui souffle un baiser et m'empare de mon skate, le lançant sur le trottoir. Abimé par endroits, je prends soin d'éviter ces creux et bosses, tenant un minimum à mes genoux et poignets. Comble de l'ironie, j'ai presque l'impression que je roulais mieux en arrivant chez Kalista, hier soir. En même temps, ça ne fait pas partie des remèdes recommandés contre la gueule de bois. Et après m'être pris deux coins de trottoir, j'arrive enfin au skatepark. Cette jungle de rampes et de rails m'avait manquée. Et mon arrivée sur ce territoire s'accompagne d'une question existentielle : dois-je vraiment utiliser cette planche sur ces rampes ? De toute façon, qui va m'en empêcher ? L'endroit est pratiquement vide, exception faite de quelques jeunes assis dans le bowl, à l'autre bout du park. La planche avale le béton, exécutant des demi-tours sur les rampes. Je pousse même jusqu'à faire quelques ollies, et tente un kickflip, qui rentre par chance. Mon père n'a jamais été fan de ce hobby. Pour lui, les skateurs ne sont que des junkies, des ratés qui excellent dans un talent inutile pour la société. Pourtant, il n'imagine pas le bien que ça me fait. Laisser libre cours à mon énergie, à mes émotions. Ça me permet de me concentrer sur quelque chose de concret, et parfois d'éviter de me laisser dévorer par mes pensées. C'est à ça que sert un hobby, après tout, non ? Nous rendre la vie plus facile, plus vivable. Humant l'air du matin, je regarde la rampe face à moi. Est-ce que ce kickflip était réellement un coup de chance ? J'ai bien envie de voir. Ça fait quelques temps que je bosse sur un trick, et je crois que c'est l'heure de voir si mes efforts ont portés leurs fruits. Allez, Hope.
La planche prend un peu de vitesse, juste ce qu'il faut. Arrivée à la fin de la rampe, je retiens ma respiration et lance la figure. Mon pied arrière lève la planche et la fait pivoter tandis que mon pied avant la balaie pour la faire vriller. Entièrement focalisée sur le mouvement, le temps ralentit. Le skate tourne, tourne à une lenteur effroyable. Et soudain, j'atterris. Mes pieds retombent à plat sur la planche, qui elle retombe sur ses quatre roues. J'ai enfin plaqué ce putain de hardflip ! Posant un pied à terre, j'exulte. Un "Yes !" sonore s'échappe de mes lèvres, et je lève les bras au ciel. Bon, il va falloir continuer de le travailler, mais c'est la première fois que j'arrive à réaliser une figure aussi complexe. Un sifflement attire mon attention vers le groupe de jeunes remarqués plus tôt. Trois d'entre eux hochent la tête respectueusement, tapant dans leurs mains. Je leur adresse un signe de remerciement, au comble de la joie. Attrapant mon sac, je sors du park le sourire au lèvre. Un sourire sincère, qui vient tout seul et sans forcer. Je prends le chemin de la maison, perchée sur mon petit nuage. Si haut que rien ne me fera en descendre.

One More HopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant