Le réveil sonne. Épuisé, j'abats mon poing sur ce truc noir qui bipe. Mes yeux se referment lentement, et alors que j'étais en train de me rendormir, mon cerveau me rappelle qu'on est lundi et que je suis censé me rendre à ce foutu musée. Le réveil affiche à présent 8h30, et je commence à me dire que je ferais mieux de me bouger. Oui, Adrian veut que je fasse les choses bien ; puisqu'il y tient autant, je peux au moins essayer. J'enfourne une tranche de pain dans ma bouche, attrape la bouteille de jus d'orange rouge... rouge ? Ah, framboise. Après trois longues gorgées au goulot, je referme la bouteille et la range dans le frigo. La cuisine se transforme en salle de bain, et le frigo en miroir. Ma brosse à dents en bouche, je termine de me préparer lorsque mon téléphone se met à vibrer. Le nom d'Adrian s'affiche à l'écran.
— Tiens, la belle au bois dormant.
— J'ai loupé mon réveil. Vous en êtes où ?
— On vient tout juste de partir. Je crois qu'on passe par la voie rapide, si tu te bouges on peut peut-être arriver en même temps. La fac a loué un bus, un long bus gris avec une tête d'indien rouge sur les flancs. Allez, dépêche.
Je presse le bouton rouge, jette un œil au trajet à suivre sur Internet et attrape clés et casque avant de me ruer dehors. Il faut passer par là, par là, par ici et... Ok, j'ai. J'insère les clés dans la serrure de la porte d'entrée, leur fait réaliser deux tours et saute sur ma Honda sans perdre de temps. Adressant un regard navré à ma pauvre Triumph, cachée par une bâche, je secoue la tête. Il va vraiment falloir que je m'occupe de ce système de refroidissement au plus vite. Arrivé sur la voie rapide, je slalome entre les voitures pendant quelques minutes, avant de dépasser un bus gris. Du coin de l'œil, j'analyse le car et me rends compte que ce dernier correspond en tout point à celui décrit par Adrian. Je ralentis progressivement et me range près du bus en calant mon allure sur la sienne. Par la fenêtre, un homme me fait des signes relativement obscènes. Je secoue une nouvelle fois la tête, dépité. Constatant qu'il ne s'arrête pas, je presse l'embrayage et fais monter le moteur dans les tours. Adrian s'arrête tout net, mais l'intégralité des personnes rangées près des fenêtres me jettent de grands yeux surpris. Parmi eux, un regard bleu attire mon attention. Oh, non. Sortant rapidement mon téléphone, je tape un message plein d'amour à Adrian avant de ranger l'appareil et de tirer la poignée des gaz vers moi, désirant rejoindre le musée au plus vite.Seul sur le parking, les écouteurs dans les oreilles, j'attends le bus depuis quelques minutes déjà lorsque ce dernier fait son entrée sur le parking. Toute ma classe en descend, et la prof fait sommairement l'appel avant de se diriger vers l'entrée en marmonnant. A seulement quelques mètres d'elle, j'entends pour mon plus grand plaisir tout son monologue.
— Pour une fois que j'avais toute ma classe... Ce Ward, toujours à séch-
— Présent.
Elle relève la tête et se fige, incrédule. Je lui adresse un hochement de tête provocateur en guise de bonjour avant de suivre le groupe à l'intérieur. Apparaissant soudainement à côté de moi, Hope me lance un regard en coin.
— En excès de vitesse et téléphone à la main, qu'est-ce qu'on va faire de toi...
Qu'est-ce qu'on va faire de moi, voilà une question que je me pose tous les matins. Je ne lui adresse aucune attention et bifurque en direction d'Adrian, ayant des comptes à régler.
— Toi ! Ça t'amuse de faire le gamin, derrière la fenêtre ?
— Oh, allez. C'était marrant, non ?
— Très peu. Et grâce à toi, j'ai déjà eu mon quota de conversation avec Henderson alors qu'on vient d'arriver.
— A d'autres. Ose me dire que tu ne vas rien tenter avec elle.
— Ça non, et je vais même tout faire pour l'éviter.
— Pourtant ça n'est pas ce que tu as fait jusqu'à présent, je me trompe ?
— Quoi ?
— Vous vous êtes bien roulé une pelle, non ?
— Comment t'es au courant ?
— Zara m'a raconté.
— Merde...
Je me passe la main sur le visage, horrifié. Le bruit va se répandre comme une traînée de poudre. Kelan Ward, qui se case pour la première fois depuis son arrivée à New York avec une fille. Même si ça me fait mal de l'admettre, je dois dire que je tenais quelques peu à ma réputation de Don Juan. Mais bien que ça me peine, ce n'est pas la raison principale de ma réaction.
— Kelan, je vois bien qu'elle te plaît, pourquoi tu refuses de tenter quoi que ce soit ave-
— Tu ne te rappelles pas qui est son père ?!
— Son... Oh, merde.
Je soupire. Lui non plus n'avait pas fais le lien, apparemment. Quel bordel. Sans un mot, on suit la file qui louvoie entre les œuvres d'art diverses et variées abritées par ce musée. Enfin "œuvre d'art", tout dépend du point de vue. Parcourant des yeux les peintures, je tente de réfréner mon cerveau, qui tourne à cent à l'heure, à la recherche de solutions. Si je n'en trouve aucune, je suis bon pour la morgue. Malgré moi, mon esprit divague et me remémore des souvenirs nocturnes de la soirée chez Wayne. C'est vrai, j'appréhende toute conversion avec elle, littéralement.
Ah, que dirait Adrian s'il voyait ce qu'il se passe dans mon crâne ? Toi, avoir le trac devant une meuf ? Allons, c'est pas la première, et sûrement pas la dernière que tu serres. Peut-être, mais c'est la première fois que je me mets à appréhender une simple conversation. Et ça m'inquiète relativement ; je me ramollis, on dirait. Perdu dans mes pensées, je ne vois pas Hendo se rapprocher progressivement de moi.
— Tu m'évites ?
— Je ne t'évite pas.
— On dirait que si.
— Non.
Sans lui adresser un regard, je m'apprête à tourner les talons pour m'extirper de cette situation, mais sa main attrape mon bras pour me retenir. Plus de fuite possible. Là, on y est. Allez, reprends-toi, Kelan. Les sourcils bas, elle m'adresse un regard abattu.
— Reste là, Kelan ! C'est... parce que tu m'as embrassé, ce soir-là ? Tu regrettes, c'est ça ?
Ma mâchoire se serre sans que j'ai mon mot à dire. Fais très attention à ce que tu vas dire, mon vieux ; choisis bien tes mots. Je prends une grande inspiration et ferme les yeux.
— Non, ça n'a rien à voir. Je n'aurais pas dû.
— Comment elle s'appelle ?
— De qui tu parles ?
— Ta copine.
— Qu'est-ce que tu racontes, Hendo ?
— T'as déjà quelqu'un, c'est ça ?
— Hein ? T'es en train de me dire que t'envisages qu'on sorte ensemble ?
Devant moi, Hendo ouvre les yeux et rougit violemment, se rendant compte de son insinuation. Baissant le regard, elle commence à perdre ses mots. Le regard fuyant, les joues roses, les mots qui refusent de sortir correctement ; tous ces signes me prouvent qu'elle y avait bel et bien pensé. Je pourrais dire que ça me laisse de marbre. Mais peut-être que ce serait enjoliver la réalité. Encore une dans la poche. Adrian me maudirait, s'il entendait mes pensées.
— Pas du tout, j-je...
— Je suis pas fait pour avoir une meuf, Hendo.
Au comble du malaise, je quitte la salle et rejoint Adrian dans la pièce adjacente. Ce dernier, en admiration devant une statue en pierre, m'accorde un regard mi-intrigué, mi-confus lorsqu'il voit Hope quitter la pièce à son tour, la mine déconfite. Il comprend rapidement qu'on vient d'avoir une conversation, et hausse les sourcils.
— Alors, ça n'était pas si terrible, si ?
— Si. C'était catastrophique.
— Explique.
— Elle m'a demandé si j'avais une copine. Je lui ai dis que je ne voulais pas sortir avec elle.
— Ouais, tu lui as mis un râteau, quoi. Sacrée histoire, votre relation.
— Il n'y a pas de relation, Adrian. Et il n'y en aura pas.
— C'est dommage, c'est une chouette fille. Dans tous les cas, tiens-toi bien avec elle pour les prochains jours. J'ai eu un texto de ma grand-mère ce matin, je dois partir quelques jours à Phoenix, alors je ne pourrai pas te surveiller.
— Tout va bien ?
— A priori. T'as compris, hein ? Tu seras correct ?
— Je vais essayer, mais je ne te promets rien.
— Ce que t'as pas compris, Kelan, c'est qu'il faut pas essayer, il faut le faire.
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One More Hope
Genç KurguOriginaire de Chicago, Kelan a déménagé l'année suivant la mort de son père. Depuis, il reconstruit progressivement sa vie à New York, où il vit seul avec sa mère tout en essayant d'éviter les problèmes. Mais chassez les ennuis, ils reviennent au ga...