Je presse les freins, et la 675R s'arrête devant une porte de garage blanche. Celle-ci s'ouvre quelques secondes plus tard sur un blond en débardeur tâché, qui s'avance vers nous. Vêtu d'un jean sale, on peut apercevoir une clé anglaise dépasser de sa poche arrière. Il lève la main vers nous.
— Kelan ! Ça va, mon pote ? Salut, Hope.
— Ça passe. Quelques galères, mais ça va. Et toi ?
— Un peu crevé, mais ça va également. Je viens de finir l'examen de la 750 de Wayne, elle va te donner du fil à retordre. Au fait, t'es au courant ? Il y a une nouvelle venue, une ZX-6R de 2016 verte et blanche. Sa propriétaire a l'air clean, et à ce qu'il paraît, elle envoie.
— Verte et blanche ? C'est pas banal. Et... Tu as dit sa propriétaire ?
— Tu la connais ?
— Si c'est bien la personne à laquelle je pense, je suis curieux de savoir ce qu'elle vient faire ici. Ça doit faire plus de deux ans que je ne l'ai pas vu.
— Zash m'a dit qu'elle s'était inscrite dans la série 4, la vôtre.
J'éclate de rire, ayant déjà compris ce qui allait se passer. Ça va être un sacré spectacle. Bon dieu, j'ai déjà hâte de la revoir. Ça sera une occasion de plus d'être témoin de son talent.
— Ça va être rapide, ce soir.
— Rapide ? Pourquoi ?
— Elle va nous plier en deux. Sinon, t'as reçu les pièces que je t'avais commandé ?Agenouillé près de la moto, Harvey se relève, les mains pleines de liquide de refroidissement. Ça fait déjà trois heures qu'on est dessus, et c'est enfin terminé. L'envie de voir le résultat se fait grandissante à chaque seconde.
— Enfin ! Bon, tu t'en es douté, le circuit d'origine n'était pas assez puissant pour ce que ta bécane est devenue. C'est vraiment une sacrée machine, tu le sais ?
— Oh que oui. Je crois qu'elle avait bien besoin qu'on change ce radiateur.
— Tu vas voir, le radia additionnel H2O va la garder assez fraîche, alors n'ai pas peur si tu n'as pas les valeurs de température que tu retrouves d'habitude. Ah, j'ai hâte de voir la nouvelle, ce soir ! Vu ce qu'on dit sur elle, ma curiosité est piquée.
— Je te garantis que tu ne seras pas déçu. Je n'en dis pas plus, je te laisse la surprise. Bon, combien je te dois ?
— Un sourire, mec. T'as déjà payé les pièces, et puis ce n'est pas comme si je n'avais rien eu en retour. J'ai appris un paquet de truc sur cette moto ainsi que la façon dont elle a été préparée, et crois-moi, ça va me servir.
— Harvey, combien ?
— Y'a pas de 'combien' ; c'est gratuit, point.
— Même pas quelques dollars ?
— Même pas. Un bisou, peut-être. Ne t'approche pas, je plaisante.
— Tu me sauves la vie. J'aurais été obligé de prendre ma CB5, et elle aurait galéré à suivre le rythme.
— Oh, peut-être pas tant que ça. Elles vont loin quand on les pousse dans leurs derniers retranchements, ces petites CB500F.
Je hausse les sourcils, ayant quelques doutes sur la question. Je serre la main d'Harvey, reconnaissant. S'il ne m'avait pas aidé sur ce coup, je pense que j'aurais produit une piètre performance. Elle aurait sans doute même été déçue de moi. Et il est hors de question que je la déçoive, on ne se voit pas assez pour qu'elle mérite ça. Harvey range rapidement les deux, trois outils qui trainent, et nous dit au revoir, sans doute désireux d'aller dormir. Il faut dire que ce n'est plus des valises, sous ses yeux ; c'est carrément toute la soute de l'avion.
— A ce soir, vous deux.
Je lui adresse un signe de main, et enfourche la Daytona. Indiquant à Hendo qu'elle peut monter, je presse le démarreur. Le moteur rugit, pour le plus grand plaisir de mes oreilles. Je crois que le son de ce trois cylindres me fera toujours le même effet. Levant les yeux au ciel, j'ai une rapide pensée pour mon père, qui aurait adoré la voir dans son état actuel. Enclenchant la première, je lâche progressivement l'embrayage. Malgré mon envie de voir ce qu'elle a dans le ventre, je tiens en laisse mes ardeurs. Il ne faudrait pas que je perde une passagère. Appuyée contre mon dos, les deux bras autour de ma taille, elle a l'air de profiter du trajet. D'une façon différente de la mienne, mais quand même. Surtout si je me fie à sa main droite qui me caresse le pectoral. Une fois revenu à bon port chez les Henderson, je coupe la moto et descend après Hope. Retirant son casque, elle secoue la tête pour regrouper ses cheveux, puis rive vers moi un regard perçant.
— Est-ce que tu as déjà été heureux ?
— Pardon ?
— C'était clair, comme question, pourtant.
— Réfléchis deux minutes, Hendo. Je n'ai plus de parents, je ne connais personne dans cette ville et je suis à la rue.
— Vu comme ça, c'est sûr que la réponse est claire. Mais tu aurais pu l'être en étant plus jeune ?
— Peut-être quand j'avais dix ans, oui. Je pourrais donner beaucoup de chose pour revenir à cette époque. Et toi ?
— Je pense que oui. Bien qu'il y ait beaucoup de choses qui pourraient me rendre encore plus heureuse, je pense l'être avec tout ce que j'ai maintenant. Et si mes parents n'avaient pas divorcés, je pense que je serais comblée. Mais c'est comme ça, donc on fait avec.
Une ombre passe dans son regard, plus bleu que la glace. Ca a dû grandement la traumatiser. Je connais des gens qui vous diront que ce n'est qu'une étape dans la vie, qu'il ne faut pas s'arrêter là dessus ; mais ça marque d'autres personnes à jamais. La dissolution de la famille. Remettre en cause tout ce qui a existé, tout ce qui a été ressenti. L'unité de la famille. Se retrouver au milieu, tout seul, avec un drapeau blanc. Oui, ça marque bon nombre de personnes.
— Si ça peut te rassurer... Tu verras, on s'habitue à tout.
Perdu dans ses yeux, une pensée sort du lot. Je... Je crois que je commence à l'apprécier. MENTEUR !, me crie ma conscience. Commence ? T'en es déjà au stade des sentiments, là. Oh, ça non. Il m'en faut bien plus pour que ça n'arrive. Et dire qu'on n'a même pas encore couché ensemble. Non, ça peut pas être ça. Je ne sais pas ce qui m'arrive, et ça me fout les jetons.
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One More Hope
Teen FictionOriginaire de Chicago, Kelan a déménagé l'année suivant la mort de son père. Depuis, il reconstruit progressivement sa vie à New York, où il vit seul avec sa mère tout en essayant d'éviter les problèmes. Mais chassez les ennuis, ils reviennent au ga...