27. Ciel étoilé - K

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    La chaleur du whisky me reste dans la gorge, vive et brûlante. C'est à la fois dérangeant, mais paradoxalement agréable et réconfortant. Tournant la poignée d'accélérateur au maximum, la moto file sur le bitume. Putain, il m'aura tout pris, ce fils de... Dans ma poche, mon téléphone vibre comme un fou. Le sortant d'une main, je regarde qui est à l'origine de l'appel. Oh, non. Même pas en rêve. Il fallait réfléchir avant, ma grande. Poursuivant ma route parmi les buildings, dans les rues vides éclairées, je roule sans but. Merde, j'aurai jamais pensé à ça... Elle, avec lui. Putain, Hope, pourquoi t'as fait ça ? Seul à un feu rouge, attendant le long du trottoir, je coupe le moteur. Un endroit où personne ne viendra m'embêter ; pas à cette heure, en tout cas. Je retire mon casque, et trois mèches de cheveux bruns tombent devant mes yeux. A nouveau, mon téléphone sonne. Encore ? Numéro inconnu, cette fois. Peut-être celui de James ? Ou de Zara ? Non, je ne l'ai pas vue dans les parages, au bar. Je presse le bouton vert et porte l'appareil à mon oreille, curieux mais pourtant toujours agacé.
Kelan ?
Qu'est-ce que tu veux, Adino ? Tu continues à foutre ma vie en l'air ?
Je savais que ça t'affecterait. Je ne fais rien au hasard, tu devrais le savoir. Je viens de la voir, d'ailleurs.
Je sais.
Oh, tu nous as aperçu ? Tu trouves pas ça drôle ? Toi avec Cassy, moi avec Hope... Œil pour œil, dent pour dent mon vieux, je te l'ai déjà dit.
Et tu m'appelles pour me dire ça ? Tu perds ton te-
Et encore, ça m'étonnerait que tu aies vu la meilleure partie... Merde, elle a un cul ! Elle m'a même laissé la peloter pendant que je la baisais, quel pied !
— Tu penses que ça me touche ? T'es pas un peu grand pour croire au Père Noël, Adino ?
Entendre ça dans ta bouche... Toi, t'as bien cru que c'était la bonne, non ?
Rageusement, j'écrase la touche rouge. Fermant les yeux, je fais ce que je peux pour me concentrer sur ma respiration. Tremblant de rage, je m'appuie sur le guidon, la tête entre les mains. Je la revois encore remettre la bretelle de son soutien-gorge en place... Et si c'était vrai ? Mais Adino est un menteur de première. Cet appel, ce geste de Hope, ça ne peut pas être par hasard. Il fallait que ce soit Hendo, hein ? Putain, si jamais j'avais su tout ce qui allait se passer, je serais resté a Chicago...
    Ça fait maintenant une bonne heure que j'ai quitté le Defiant, et mon téléphone continue de sonner, encore et encore. Des appels de la part de Hope. 38. Et 6 provenant d'Adrian. Ils ont sûrement dû se passer le mot. A califourchon sur ma moto, je renverse la tête en arrière. Les étoiles... A peine visibles à cause du halo lumineux de New York, on les distingue à peine. Quel dommage. Ouais, quel dommage. Elle m'a bien prise pour un con. Je laisse échapper un soupir, mets le contact et démarre. C'est l'heure, il faudrait que j'aille à la carrière. J'ai malgré tout voulu m'inscrire aux courses avec la Honda, pour voir ce qu'elle avait dans le ventre dans ces conditions. Enfilant mon casque, je relâche l'embrayage quelques secondes plus tard, mettant en mouvement le deux-roues. Autant y aller, il ne me reste plus que ça à faire, de toute façon.

    En chemin, j'ai tout le loisir de pouvoir ruminer ce qui me traîne dans la tête. J'espère ne pas croiser Adino. Je ne le tuerai probablement jamais, même s'il m'a foutu en l'air tout entier, mais il aura la guerre. Avec un grand G. Arrivé à destination, je remarque tout de suite la Nissan de Theo. Ce dernier lève la voiture utilisant un cric, et commence à dévisser les roues arrières, le pneu à deux doigts d'éclater. Je le plains, un changement de pneu sur ces jantes doit être pénible au plus haut point. Il tourne la tête en entendant le grondement de la Honda, et s'apprête à me dire bonjour avant de remarquer mon visage fermé à travers le casque, visière relevée. Un simple hochement de tête, et ce dernier retourne vaquer à ses occupations. Je préfère ça plutôt qu'une accolade, je pense que le contact humain n'est pas la chose la plus raisonnable pour moi, en ce moment. De longues minutes plus tard, la roue avant de ma moto s'immobilise, derrière une grossière ligne blanche à même le sol. Aujourd'hui, j'ai deux opposants. L'un est monté sur une Hypermotard flambant neuve, et l'autre sur une vieille Yamaha. Sans pour autant les sous-estimer, je pense que ça sera relativement tranquille, aujourd'hui. Les motos rugissent, leurs propriétaires concentrés sur le starter qui s'avance. Baissant les yeux vers le compteur, je soupire une nouvelle fois. Putain, Hope... Pourquoi ? Et le pire, pourquoi lui ? Qu'est-ce qu'elle a cru qu'il lui apporterait ? Malgré mes avertissements, en plus ? Les motos démarrent dans un crissement de pneu, s'éloignant peu à peu du départ. Resté derrière la ligne, je cligne des yeux. Le starter me regarde, incrédule, rapidement imité par les spectateurs tout autour de lui.
Ça va ?
Laissant échapper un soupir, je tire doucement la poignée d'accélérateur et braque le guidon à gauche, sortant de la piste. Les gens suivent la moto des yeux, ils n'en croient probablement pas leurs yeux. J'ai beau essayer de penser à autre chose, je n'arrive à rien. La lune est haute, et il commence à se faire tard ; je crois qu'il est temps de rentrer. Le trajet jusqu'à la maison est calme, beaucoup trop calme. En sixième, à seulement une soixantaine de kilomètres par heure, je n'éprouve pas ce besoin de vitesse habituel. Non, je n'ai même pas envie d'accélérer. Qu'est-ce qui m'arrive ? C'est comme si mon cerveau tournait sans interruption, incapable d'allouer un minimum de ressources pour contrôler une moto à de plus hautes vitesses. Toute ma capacité de réflexion est déjà mobilisée sur une seule et même tâche qui refuse de se fermer, récalcitrante. Je... J'ai même plus les mots.
    Arrivé devant la grande bâtisse blanche, je coupe le moteur. Jetant un dernier regard au ciel dégagé, je rentre à l'intérieur, la tête basse. Ma mère est déjà couchée. Ne tardant pas à rejoindre mon lit moi non plus, je fixe le plafond. Impossible de fermer les yeux, je revois constamment la soirée, elle qui rentre dans le bar par derrière, Adino quittant le parking. Il n'y a rien que je puisse faire, c'est son choix, mais... merde, elle aurait pu faire ça avec quelqu'un d'autre ! Ouais, il a fallu que ça tombe sur Adino, hein. Il avait tout prévu, depuis le début. Il a bien joué ce coup-là, je dois reconnaître qu'il sait placer ses pions avec stratégie.
    Bon sang, je n'arrive pas à penser à autre chose ! La surface plane et immaculée du plafond s'est transformée en toile de vidéoprojection. Mes pensées s'écrasent dessus, métamorphosées en film. Je vois Adino. Je me vois rentrer dans le bar. Je la vois elle. Et je revois une fois de plus la nuit qu'on a partagé, tous les deux. Je l'avais contre moi, je la tenais ! Et pendant que je la baisais, je ne pensais plus à rien. Mon esprit était vide, je ne pouvais que savourer ce moment éphémère, avec elle. Malgré toutes les connaissances que j'ai faites dans ma vie, et parmi toutes celles ayant fini dans mon lit, elle est la seule qui m'a intrigué de la sorte. Plus j'y pense, plus je me rends à l'évidence : je n'arrive même pas à trouver ce qui la différencie des autres. Mais il y a un truc ; et ce truc, elle l'a. Cette étincelle, cette complicité, je ne l'ai retrouvée chez personne d'autre. Je ne savais même pas qu'elle existait, pour être honnête. Voir que tout ça ne représentait rien pour elle, ça me... putain ! C'est terrible de me rendre compte à quel point tout ça m'atteint.

    Adrian me conseillerait d'attendre d'y voir plus clair pour porter un jugement ou bien réagir en conséquences, mais je pense que j'ai déjà passé cette étape-là. Je n'ai rien inventé, j'ai bien vu tout ce que j'ai vu. Quand je pense que tout allait bien il y a vingt-quatre heures ? Ah, ça me met en rage ! Il faut que je m'occupe, je me vois mal tourner toute la nuit à rien faire. Au rez de chaussée, la bouteille de lait dans le frigo me fait les yeux doux. Et... Les céréales aussi ? Bon, il faut dire que la dernière chose que j'ai ingéré depuis midi, c'est ce verre de whisky. Réflexion faite, c'était l'appel d'Adino. Ouais, j'ai du mal à le digérer, ça. Je me rappelle encore la nuit que j'ai passé avec Hendo. Jamais... Jamais une fille ne m'avait fait cet effet. Adrian aurait dit que je me ramollis. C'est sûrement vrai. Mon téléphone vibre, me signalant l'arrivée d'un message du blond.

Appelle-moi quand t'es réveillé

One More HopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant