On dirait que Wayne est un chouette gars. Difficile à battre, ses passages de rapports sont sacrément bien timés ; mais très cool. Il sait rouler, y'a pas à dire. Une demi-heure plus tard, Adrian se tourne vers moi.
— Allez, on va faire un tour, voir ce nouveau bar dont je t'avais parlé ?
— Avec plaisir. Wayne, tu te joins à nous ?
Adrian monte derrière moi et nous guide jusqu'au bar en question. Après quelques minutes de route et plusieurs roues arrière de la part de Wayne, on arrive dans les environs. Une enseigne fluorescente apparaît dans notre champ de vision, seule lumière dans les ténèbres de la nuit noire. Ironique, quand on y pense. Un bar, havre de paix ? Ironique, oui. D'une taille plus que correcte, il n'a pas à rougir des bars du centre ville. Le Defiant est un bar fréquenté par pas mal de monde, si je me fie aux voitures et motos remplissant le parking. Aussitôt arrivé, assis à une table, Adrian me tend une bière et m'enjoint à raconter ce qui m'est arrivé la nuit dernière.
— J'étais à une soirée et j'ai pris la moto pour rentrer. Je me suis fait contrôler par un flic, et comme j'avais pas mal bu... Vous voyez le topo. Du coup, mise en fourrière et cellule de dégrisement. Et en sortant ce matin, je suis allé récupérer ma moto.
— T'étais pas censé aller la chercher, si ?
— J'allais pas la laisser là-bas.
— Je vois... Et toi Wayne, tu bosses dans quoi ?
— Je suis mécano dans un garage plutôt pas mal, Elite Motors, dans le centre. On répare des voitures de performance et de luxe, et on fait un peu de préparation également, pour les gens en recherche de performances qui ont de l'argent à mettre.
Il a l'air passionné par ce qu'il fait. Je ne suis pas vraiment surpris qu'il ait une moto, il a l'air d'être un adrenaline junkie, comme moi. Et son look colle vraiment bien. Il arbore une sorte de mohawk modernisée, où les côtés de sa tête sont pratiquement rasés à blanc, créant un contraste saisissant avec la crête de cheveux courts hérissés et taillés en pointe, ce qui lui donne un aspect punk et rebelle. Ouais, un vrai punk. Il porte une barbe fournie mais bien entretenue, encadrant son visage anguleux et sa mâchoire carrée. C'est signe qu'il fait quand même un minimum attention à son image. Obligation professionnelle sans doute, personne ne veut voir d'employé négligé. Pour renforcer son look rock, quelques tatouages sont visibles sur son cou et sur le côté de sa tête. Des barres de dénombrement. Loin de prendre tout l'espace, ces dernières sont tout juste remarquables.
— Ah, tu bosses là-bas ? Je passe souvent devant, vous travaillez sur de sacrées caisses ! Le salaire doit être plus que raisonnable, non ?
— On va dire que... Je n'ai pas à me plaindre. Et vous ?
— Toujours en études. Kelan en fac de maths, moi en science. On a quelques cours en commun, alors on a l'occasion de se voir assez souvent.
— Des idées de métier plus tard ?
— Bah, parle pas de ça. Il est tard, je ne vais pas tarder.
— Moi aussi, je bosse demain. On y va ?
Sortant du bar, Wayne et Adrian sur les talons, je rejoins nos motos et termine ma bière d'une traite. Effectivement, Wayne s'y connait en mécanique. Je peux voir plusieurs modifications sur sa moto, une grosse sportive noire menaçante. Tu m'étonnes qu'elle pousse autant.
— Alors, t'aime bien ? Une GSX-R 750 L6, de 2016.
— Ça a l'air sympa, effectivement. Avec une ligne LeoVince en plus !
— On a dû l'adapter, la marque n'en fait plus pour les nouveaux modèles de GSX-R.
— C'est toi qui bosse sur ta moto ?
— Pour la plupart des trucs à ma portée, oui. Mais je la confie à un ami, je pourrai te le présenter si ça te dit.
— Avec grand plaisir.
— Banco ! Sur ce, à bientôt, les gars.
Il enfile son casque, enfourche sa moto et démarre. Nous adressant un petit signe de main, il abaisse sa visière et s'élance sur la route, nous gratifiant d'une roue arrière bien gérée. Je retrouve Adrian un peu plus loin, près de l'arrêt de bus, sa bière à la main.
— Je ferais bien de la terminer, pas sûr que le chauffeur me laisse monter dans le bus, sinon.
— Attends-moi, j'arrive.
Retournant sur le parking du Defiant, je démarre la Triumph et m'empare du casque. Rejoignant mon ami blond, je lui tends le casque.
— Allez, monte.
— Hein ? Pas question que je-
— La ferme, je te ramène. Monte.
— T'as qu'un seul casque, en plus !
— C'est pour ça que je te le file, abruti.
— Mais...
— Monte.
Il soupire, ronchonne, mais finit par enfiler le casque à son tour. Écartant ses mèches blondes de ses yeux bleus, il m'adresse un regard noir.
— T'es vraiment qu'un con, tu le sais ?
Il me fait toujours rire, ce mec. Je le préviens que c'est pas une moto confortable, mais que je vais faire mon possible pour abréger le trajet. Il a de la chance, j'ai oublié de changer la selle. Grâce à ça, il peut monter derrière, malgré le confort équivalent à une planche de bois. Sinon, il aurait dû prendre le bus.
— Nan, c'est pas si terrible que ça, en confort. Roule normalement, et tout ira b- attends, tu roules sans plaque ?
— Pourquoi veux-tu que j'en ai une ? La moto est préparée, et je l'utilise pour faire des trucs pas super légaux, Adrian. Pourquoi aurais-je besoin d'une plaque ?
Il ricane.
— J'aimerai pas être à ta place quand tu te feras choper par les flics.
— Ils faut d'abord qu'ils me rattrapent. Allez, accroche-toi.
Après un trajet relativement calme pour moi, mais mouvementé pour Adrian, on arrive devant chez lui. Coupant le contact, je lui fais signe de descendre. Il gesticule dans tous les sens, les jambes engourdies.
— Je comprends mieux quand tu me disais que c'était pas confortable ! J'étais assis sur un banc en pierre tout le long... Et t'avais dit qu'on roulerait tranquillement !
— Alors, Adrian : c'est une sportive, c'est pas fait pour transporter des passages. C'est possible, mais pas agréable. Et ensuite, on a roulé tranquillement. J'ai à peine dépassé la limite de vitesse de dix kilomètres-heure.
— Sur la voie rapide ! En ville, c'est autre chose.
— Ça va, tu sais que je fais attention. Surtout quand j'ai un passager.
Me tendant mon casque, il me remercie d'un signe de tête.
— Merci pour le casque. Il ne sent pas le neuf, mais bon.
— Eh ! Il ne pue pas ! Et si on s'était cassé la gueule, tu remercierais ce truc qui ne sent pas trop le neuf.
— Je sais, je sais. Avant que j'y aille... Comment ça va, avec ta mère ?
— Toujours un calvaire. Quoi que je fasse, ça ne va pas. Même si je m'applique, que je fais des efforts ; rien ne lui va. Mais bon, j'ai vite trouvé la parade. Du coup, on s'ignore tout le temps. On ne s'adresse même plus la parole, sauf lorsqu'elle me gueule dessus. Chacun fait sa vie de son côté, on va dire.
— Oh.
— T'en fais pas, j'en ai vu d'autres. Et puis, je suis assez grand pour m'en sortir tout seul, maintenant. J'ai de l'argent, un moyen de transport, je peux faire ce que je veux. Je reste là-bas tant que je peux, parce que c'est la maison dans laquelle j'ai découvert New York, les souvenirs, tu vois.
— Je vois. Les lieux, on s'y attache facilement.
— Et on se détache facilement des gens.
— Dis pas ça, peut-être que ça s'arrangera, tu ne connais pas le futur.
— Non, mais je connais ma mère. Bref, je vais y aller, si tu veux que j'arrive à l'heure demain pour les cours.
— Je parie dix dollars que tu seras à la bourre.
— Tenu ! Prépare-les, je les veux demain sur la table.
— Dans tes rêves. Ce sont mes dix dollars que je récupèrerai demain matin. Allez, à demain.
— A demain, mec.
— Fais attention en rentrant.
Lui adressant un signe de tête, j'enfile mon casque et rabats la visière. Démarrant la Daytona, celle-ci rugit, impatiente de prendre la route. Tu verras, ces dix dollars, je les récupère demain.
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One More Hope
Teen FictionOriginaire de Chicago, Kelan a déménagé l'année suivant la mort de son père. Depuis, il reconstruit progressivement sa vie à New York, où il vit seul avec sa mère tout en essayant d'éviter les problèmes. Mais chassez les ennuis, ils reviennent au ga...