Tiens, il est venu, aujourd'hui. Étonnant de sa part, surtout en espagnol. Bon, il est arrivé en retard, mais sa simple présence à ce cours relève de l'exploit. Je me demande pourquoi il a choisi cette option, d'ailleurs. Et pour sa présence, c'est peut-être en raison de son passage chez le directeur, l'autre jour ? Mmmh, bonne question. Dans tous les cas, tu t'occupes trop de lui, Hope. Lui jetant un discret coup d'œil, je remarque qu'il grimace de douleur à chaque mouvement. Tiens ? Je sais bien que l'espagnol n'est pas sa langue favorite, mais de là à ressentir un mal-être physique... Ouais, c'est ce que je disais. Je m'occupe trop de lui. Mon téléphone indique cinq minutes avant la fin du cours et avec un peu de chance, la prof nous laissera sortir plus tôt.
— Bon, ça sera tout pour aujourd'hui. Pour lundi prochain, vous me ferez les exercices quatre et cinq sur l'impératif. Allez, du balais !
Qu'est-ce que je disais? Tout le monde sort dans le couloir, et Kelan se faufile dans la foule précipitamment, en direction des toilettes. Envie pressante ? Plissant les yeux, je regarde par la porte entrouverte. Kelan soulève son T-shirt et porte une main à son abdomen, recouvert d'un gros bandage.
— Alors ? Il est beau gosse, hein ?
— Ouais...
Concentrée, je ne prête pas attention à la personne qui me parle. Puis, je prends conscience que c'est Adrian qui vient de poser cette question. Je me flagelle mentalement, et ne perd pas une seconde pour me reprendre.
— Dans le genre bien laid, alors.
Il pouffe et poursuit son chemin, n'y croyant pas une seconde. Putain, pourquoi je n'ai pas réfléchi un minimum avant de répondre, au lieu de l'ouvrir sans comprendre la question... Adossée au mur à me triturer le cerveau sur mon attitude envers ce bloc de glace au prénom en K, je le vois à peine passer en coup de vent, devant moi.
— T'es un grand blessé, maintenant ?
— Quoi ?
— Il t'es arrivé quoi ?
— Comment tu...
— La porte était restée entrouverte. Alors ?
— Pas tes oignons.
Il accélère le pas, mettant davantage de distance entre lui et moi. Encore une fois, ça me donne le loisir de remarquer son attitude vis à vis de moi, froide. Bien en dessous de 0, à ce stade.A l'heure de cours suivante, il n'est pas là. A celle d'après, et celle d'encore après non plus.
Qu'est-ce que... Bordel, qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi je reste fixée sur ce mec ? C'est bien la première fois que ça m'arrive, et c'est on ne peut plus désagréable. C'est un connard fini sans aucune considération pour les autres, comment puis-je m'intéresser à lui ? Et encore, est-ce de l'intéressement ? Ahhhhhhh, je déteste être aussi curieuse ! Parfois, j'aimerai bien pouvoir me débarrasser de ce défaut. C'est épuisant. Interrompue dans ma réflexion par la professeure, je m'empare de la feuille qu'elle me tend. Une sortie ? Au musée de la Société Espagnole d'Amérique ?
— Je sais bien que vous n'êtes plus à l'école, mais il vous faut remplir cette feuille pour que vous soyez couvert par l'université en dehors de son enceinte. Je précise également que c'est une sortie obligatoire pour cette option, autrement votre relevé d'assiduité s'en verra impacté en conséquence. Et comme j'ai besoin des documents de tout le monde, qui peut amener cette feuille à Tony ? Bien. Et à Kelan ? Même si je ne suis pas sûr de l'utilité de la chose...
A peine ces mots prononcés, je prends Adrian de vitesse en levant la main. Toute fière, je lui tire la langue.
— Moi, madame.
Coleman me jette un regard éberlué et fronce les sourcils. A la sortie du cours, il me prend par le bras, sans pour autant me faire mal. Enfin quelqu'un d'attentionné... Mais au vu de son regard, je devrais peut-être réfléchir à ma justification.
— A quoi tu joues ?
— Pourquoi il a séché ?
— Il doit avoir ses raisons.
— Le bandage?
— Tu lui en as parlé?
— Oui.
— Et qu'est-ce qu'il t'a répondu?
— 'pas tes oignons'.
— Alors c'est pas tes oignons.
— Je m'en fous, je vais le harceler.
— Si j'étais toi, j'y réfléchirais à deux fois. Et fais gaffe, il s'énerve vite.
Je lui jette un regard noir et sors de l'enceinte de l'université. C'était une menace ? J'avoue que je commence à appréhender. Je ne sais pas trop ce qui m'a pris, sur le moment, j'ai cru que c'était l'occasion parfaite pour en savoir plus sur ce type, mais maintenant... Plongée dans mes pensées, je remarque Theo, le mec d'hier soir avec qui Zara parlait aux runs. Montant dans une voiture blanche et correctement rabaissée, je me rue vers lui.
— Salut Theo ! On s'est vu hier soir aux runs.
— Hey ! Hope, c'est ça ? Oui, vous êtes venues nous piquer de l'alcool, avec ton amie ! Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?
— Tu vas dans quel coin ?
— Tu veux que je t'amène quelque part ? Tu tombes bien, je suis en rodage, alors elle doit manger des kilomètres ! Monte !
Je monte dans sa Nissan et attache ma ceinture. Enfin, si on peut appeler ça une ceinture ? C'est tout un harnais, monté sur un siège baquet. Le siège est tellement bas que je vois à peine au-dessus du tableau de bord. Drôle de voiture. Tout au long du trajet, j'en profite pour en apprendre un peu plus sur lui. Ce joli brun aux yeux verts se nomme Harper, de son petit nom. Étudiant dans le pôle technologie, il est âgé de vingt-quatre ans et approche de son quart de siècle. Presque de deux ans mon ainé, alors. Il porte une fine moustache, ce qui lui donne un air de Zoro. Heureusement, un mulet espagnol savamment taillé viens moderniser son apparence, pour le plaisir des yeux. Il accélère, et un bruit étrange, comme un souffle d'air sous pression se produit sous le capot. Lui posant la question, ses yeux s'illuminent.
— C'est le turbo ! Lorsque je passe les vitesses ou que je relâche l'accélérateur, toute la pression contenue s'évacue par la soupape de décharge. C'est marrant comme bruit, non ?
— Effectivement ! Elle accélère fort, en tout cas.
— Ça, c'est en partie dû au turbo. Mais aussi au moteur et à la boîte. Et vu la petite fortune que j'ai payée pour l'ensemble des deux, j'espère que ça pousse ! Tu sais à combien se vendent les S15, aujourd'hui ? Le marché est en train d'exploser, c'est un truc de fou !
Réprimant un éclat de rire devant son enthousiasme, je continue de nourrir son entrain. Comme les roues avant de sa voiture ont l'air penchées et non verticales, je me dis qu'il y a peut-être une raison particulière ?
— Ah, les roues ? Disons simplement que je ne fais pas que rouler. Tu verras bientôt, si tu continues à venir aux runs. On est arrivé, princesse !
— Merci beaucoup, tu me sauves la vie.
— Votre humble serviteur est là pour ça. Prends mon numéro, si tu veux. Comme je t'ai dit, si t'as besoin d'un déplacement, n'hésite pas ; elle doit rouler !
Je sors de la voiture et lui fais un petit signe de la main, avant de m'engager dans l'allée. La voiture de fonction de mon père est déjà garée. C'est une voiture imposante, et on peut comprendre d'un coup d'œil qu'elle en a sous le capot. Une Dodge Charger, floquée aux couleurs de la police de New York. Quand j'y pense, heureusement que ce n'était pas lui derrière nous en moto, l'autre jour. Ça aurait bien pu...
— Tiens, qu'est-ce que tu fais là ?
— Je rentre de la fac, pourquoi ?
— Il n'est pas un peu tôt ? Hope, si tu commences à sécher des cours, je te-
— Je ne sèche aucun cours, j'ai simplement terminé tôt aujourd'hui.
Un soupir s'échappe d'entre ses lèvres, et il pose deux yeux remplis d'amour sur moi. Je me doute qu'il doit être inquiet, élever une fille tout seul n'est pas chose aisée. Même si je vois souvent ma mère, c'est pourtant lui qui doit me supporter la plupart du temps.
— Papa, est-ce que tu connais Kelan Ward ?
Il s'immobilise, plisse les yeux et secoue la tête.
— Qui ça, tu dis ?
— Kelan Ward.
— Ce n'est pas ton copain qui t'a aidé au bar ?
— Si, c'est lui. Tu ne le connais pas du tout ? Tu as eu une réaction étrange au téléphone, hier soir.
— Non, c'était la première fois que j'entendais ce nom.
Il se lève, termine son café et attrape le dossier (très) rembourré posé sur la table, devant lui. Je plains l'homme concerné... Sortant de la pièce, j'ai malgré tout le temps de lire le nom inscrit au marqueur rouge sur le dossier, en lettres capitales. Ward.
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One More Hope
Teen FictionOriginaire de Chicago, Kelan a déménagé l'année suivant la mort de son père. Depuis, il reconstruit progressivement sa vie à New York, où il vit seul avec sa mère tout en essayant d'éviter les problèmes. Mais chassez les ennuis, ils reviennent au ga...