1. Environnement adapté - K

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     Le lendemain, un vacarme pas possible me fait ouvrir les yeux. Ouch, ma tête... A peine redressé, ébloui par la lumière du jour filtrant par la fenêtre, j'ai l'impression qu'un malade s'acharne sur mon crâne à coup de marteau.
Aller, sors de là, gamin. Ta mère t'aime vraiment beaucoup pour payer la caution, vu son montant... Et surtout, venir te chercher à 06h45...
Je me relève tant bien que mal, et passe la porte de la cellule, m'appuyant au passage sur les barreaux. Dehors, ça ne s'agite pas beaucoup. L'officier près de moi consulte sa montre, histoire de me faire comprendre que je suis trop lent pour lui.
Et... ma moto?
La fourrière.
Oh, merde...
Je ne te le fais pas dire.
J'avance lentement le long de ce couloir nauséabond. Les cellules empestent l'alcool et la pisse, c'est un régal pour les narines. Déshydraté, j'ai la bouche pâteuse. Encore dans le coaltar, je passe une main dans mes cheveux. Soudain, quelque chose attire mon attention. Une femme rousse habillée en tailleur attend à l'accueil, jetant elle aussi des regards nerveux à sa montre. Celle-ci tourne la tête dans ma direction et me remarque. Aussitôt, ses sourcils se froncent. Oh, je sens que je vais déguster.
Voilà, madame. Voilà les clés de sa moto, et son casque. Passez une bonne journée. Et toi, ne t'avises pas de recommencer.
Elle passe en trombe devant moi et m'attrape sèchement par le bras. En descendant les marches du commissariat, elle ne m'adresse ni un mot, ni un regard. Je pourrais prétendre que je ne suis pas habitué à ce genre de scène, mais...
Maman, je...
Tais-toi.
J'ai pas...
T'as pas quoi !? T'as pas fait exprès ?! T'as pas réfléchi ?! Ni l'un, ni l'autre, je suppose, comme toujours ! , elle explose.
Je...
Tu imagines tous les gens que tu mets en danger, avec tes conneries ?! J'en ai ma claque de devoir toujours tout gérer à ta place ! Si tu ne peux pas te débrouiller tout seul, on va t'envoyer en pensionnat, ou même à l'armée s'il le faut !
Je pince les lèvres, incapable de prononcer un mot. A chaque fois, c'est la même chose ; il faut toujours qu'elle exagère. Il n'y avait que moi, sur cette route. Je ne risquais pas de faucher qui que ce soit. Ses mots sont durs, mais ne me font plus aucun effet, malheureusement. Conséquence d'une année abominable à ses côtés, depuis que mon père est décédé. Depuis qu'il est parti, elle a radicalement changé. Devenue aigrie et presque cruelle parfois, elle me fait vivre un enfer. Mais bon, pour être franc, mon comportement n'est pas non plus exemplaire. Mais même si je me plie en quatre, rien ne lui va. Alors j'ai arrêté d'essayer.
Tu ne penses qu'à toi, à toi seul ! Tu es minable, Kelan, tu me fais pitié. Ça fait à peine trois semaines que tu as repris les cours, et j'ai déjà reçu cinq appels de la fac, merde !
Elle jette un discret coup d'œil à sa montre, remet une mèche de cheveux en place et reprend un minimum de contenance. Les lèvres pincées, elle lâche :
Voilà, je vais être en retard, maintenant. Je n'ai pas le temps de te déposer, tu n'as qu'à rentrer à pied.
Je... J'ai besoin de mes clés.
Elle plonge une main dans la poche de son tailleur et me lance mes clés. Par chance, celles de ma moto y sont également accrochées. La portière de la Bentley se referme sèchement, et la voiture disparaît rapidement de ma vue. Elle doit encore avoir un procès, à tout les coups. Elle est avocate, ma mère. Une avocate remarquable, à ce qu'on dit. Toujours très professionnelle, avec un souci du détail remarquable et une rigueur sans pareille, à faire pâlir un militaire. Mais bon, elle a toujours refusé de venir me défendre. Ce qui peut se comprendre, je ne suis pas le meilleur des fils, loin de là. Et je le sais. Quoique, elle m'a représenté une fois. Une seule. Enfin, peu importe.

     Après m'être rapidement aidé de mon téléphone à deux doigts de tomber en rade de batterie, je prends le chemin de la fourrière. Hors de question que je rentre à pied. Debout dans le bus, j'ai tout le loisir de me repasser les évènements de la veille, même si ces derniers sont un peu flous. J'ai déconné, c'est clair. Mais pour ma défense, la route était vide, et je ne risquais de blesser personne. A part moi-même. Tiré de ma rêverie, je constate que je ne suis plus très loin de ma destination, et descends du bus. Face à de hautes grilles recouvertes de barbelés, il me faut voir les choses en face : impossible de s'introduire dans l'enceinte de la fourrière par là. Avisant la guérite du gardien un peu plus loin, je constate que celui-ci est focalisé sur la télévision, diffusant un match de football américain. Ça me laisse donc la possibilité de passer par-dessus la barrière d'entrée. Alors que j'enjambais sans effort la barrière, une voix m'interpelle.
Eh, qu'est-ce que tu fous là ? T'es pas censé être en cours ?
Merde, quel jour on est ? Mardi ? Tiens, un début de semaine brillant. Effectivement, je suis censé être en cours depuis quarante minutes. Tant pis, je ne suis plus à ça près. Et j'ai comme qui dirait d'autres problèmes à l'heure actuelle...
Je crois qu'on a embarqué ma voiture.
Tu t'appelles ?
Martinez.
Attends voir... Je ne vois pas ton nom dans la liste. La voiture est à toi ?
Oui, je l'ai eu pour mon dernier anniversaire.
Je vois. Qu'est-ce que c'est, comme voiture ?
Une Dodge Avenger.
Attends-moi là, je vais aller regarder dans les fichiers, ça ne s'est peut-être simplement pas actualisé."
Berner un gardien est d'une simplicité, de nos jours... Demander une voiture avec un casque de moto sous le bras, il faut le faire. Je fais mine de patienter, mais passe derrière l'accueil dès qu'il a le dos tourné. Le dos courbé, je parcours les rangs de véhicules immobilisés pour trouver ma moto. Déjà que je vais devoir payer une amende probablement salée, je n'ai étrangement que très peu envie d'aggraver mon cas. Après quelques instants, je repère la peinture noire de mon roadster Honda, et m'approche discrètement de lui sans me faire repérer. Heureusement, ils n'ont pas posé de sabot. Les choses auraient été autrement plus délicates. J'insère les clés et mets le contact, guettant tout signe du gardien. Le moteur démarre dans un grondement sourd, et le gardien sort de l'accueil en courant. Quelle idée de retirer la chicane... Je savais bien que ça n'allait m'attirer que des ennuis.
Eh ! Coupe ça tout de suite !
Une fois en selle, j'enclenche la première et le dépasse rapidement. Contournant la barrière sans mal, je lance le roadster sur la route. A partir de maintenant, il va falloir que j'évite de faire le con. Avec une bécane qui n'a plus grand chose d'origine et un mal de tête carabiné, les choses peuvent se passer autrement plus mal qu'hier soir. Un rapide crochet par chez moi est nécessaire pour embarquer mon sac, faire un brin de toilette et changer mes vêtements, ces derniers embaumant une forte odeur de transpiration. Une fois chose faite, je soupire. Direction la fac...

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