Chapitre 1

121 10 7
                                    

J'ai vécu mes 16 premières années dans ma maison en marge des villes et des endroits habitables. Mes parents m'ont enseignée de penser par moi-même et de toujours suivre mon instinct, d'après mon père ; et mon cœur, d'après ma mère. Je ne sais pas à quoi ressemble la vie là-bas, la vie que j'aperçois depuis ma fenêtre mais je sais que la vie est dure. J'aimerais pouvoir un jour voir ce qui s'y passe, peut-être que ce n'est pas si terrible même pour les gens différents comme moi... J'en parle souvent avec ma mère et elle me dit que je ne pourrais comprendre la dureté avec laquelle ces gens me traiteraient si je venais à les rencontrer, puis elle termine en m'embrassant sur le front en me promettant que je ne les rencontrerai jamais.

Mes parents ont toujours voulu me protéger et ne me laissaient jamais seule. J'avais beau habiter en marge du monde extérieur, je n'étais pas plus bête qu'une autre, j'aimais beaucoup construire des meubles ou des jouets en bois avec mon père. Je me rappelle la fois où l'on avait repeint la façade du garage, à la fin nous étions plus recouvert de peinture que la façade elle-même et ma mère nous avait disputés et traités d'irresponsable. Mon père aussi s'était fait reprendre mais je savais qu'il était heureux d'avoir passé un moment à rire ensemble, juste tous les deux. J'avais fini dans la douche, traînée par ma mère ; j'avais regardé mon père couvert de peinture blanche une dernière fois et il m'avait adressée un clin d'œil ce qui avait le don de me mettre du baume au cœur. J'avais fini par penser comme mon père malgré les protestations de ma mère : c'était un moment heureux que l'on avait partagé.

J'ai toujours été intelligente, lorsque j'avais cours – que ma mère me faisait – je comprenais tout en un rien de temps. J'aime beaucoup les mathématiques et les sciences, j'aime la logique de ces matières. Mais moins la grammaire et l'orthographe, c'est toujours la même chose et lorsque je croyais avoir compris une des règles, il fallait que je m'attaque aux exceptions toutes plus tordues les unes que les autres ! Je suis seule chez moi, sans frères ou sœurs,  alors mes parents étaient aux petits soins avec leur fille. J'étais toujours occupée mais cela ne m'empêchait pas de me sentir seule et d'avoir besoin de compagnie. Je tuais le temps en dessinant, en fabriquant toutes sortes d'objets avec des branches et des feuilles. J'aimais laisser court à mon imagination, il ne me restait qu'elle pour échapper à la dure réalité qu'était ma vie. J'essaye de ne pas m'apitoyer sur mon sort, les habitants des villes vivent bien pire...


Je m'en rappelle comme si c'était hier, c'était un matin où je préparais le petit-déjeuner pour mes parents, encore couchés, et moi. J'avais vu plusieurs personnes entrer dans ma cuisine, qui était la première pièce de la maison lorsqu'on passait la porte, équipés de casques, de gilets pare-balles et d'armes comme si nous étions une menace... Certains en me voyant dans la cuisine au rez-de-chaussée, seule, montèrent à l'étage. D'autres m'attrapèrent et me mirent des menottes. Ils m'emmenèrent à l'extérieur et j'eus juste le temps d'apercevoir mes parents me sourire pour me donner courage, ma mère pleurait. Ils étaient tous les deux attachés comme moi puis les hommes me mirent à l'arrière d'un fourgon blindé comme une criminelle. Je n'avais plus que cette dernière image pour me raccrocher à mes parents et à tous les moments heureux passés ensemble.


Je me souviens aussi du trajet dans le fourgon où je me repassais la scène en boucle pour m'imprégner de leur visage avant que je ne les oublie. Je ne savais pas pourquoi mais j'étais convaincue que je ne les verrais plus.


Ça fait maintenant une semaine que je suis dans un local où je reçois trois repas par jour, ce qui m'a permis de me situer dans le temps. Je ne sais pas pourquoi je suis ici, ni ce que sont devenus mes parents. Même si ça me désole de me dire ça, je sais qu'ils ne doivent pas aller aussi bien que moi. Les hommes qui m'ont menottée chez moi ne m'ont rien fait, ils m'ont juste mise dans cette pièce et m'amènent de quoi manger régulièrement donc je pense que j'aurais pu me retrouver dans une situation bien pire. Je passe mes journées à réfléchir à qui peuvent être ces gens, à ce que je vais devenir, à mes parents aussi, je m'inquiète pour eux. J'en ai déduit que les gens qui m'ont mise là doivent être du gouvernement. Il n'y a qu'eux qui peuvent habiter une telle méchanceté et injustice dans leur corps.


Je me souviens d'une vieille femme qui s'était perdue et l'homme serviable qu'était mon père l'avait renseignée. Nous avions un protocole de sécurité lorsque des étrangers approchaient de notre maison, ma mère qui avait une chevelure flamboyante et des yeux d'un bleu électrique devait se cacher pour ne pas attirer l'attention. Je devais normalement suivre la même règle mais cela faisait des années que personne n'était venu et je m'étais sentie obligée de l'observer tout le long. Au moment où elle s'apprêtait à partir, elle a jeté un dernier regard et nos yeux se sont croisés, j'ai compris que j'aurais dû m'abstenir de désobéir. J'avais ouvert le rideau pour avoir une fente où glisser ma tête et observer la scène d'un œil curieux. J'aimais observer les gens, comprendre leur fonctionnement, je ne pouvais m'empêcher de les détailler. Peut-être que le travail de cette femme était de repérer les personnes qui mettent au monde des enfants uniques. Moi, je n'aimerais pas faire ce genre de boulot, je penserais trop aux familles que j'ai détruites et peut-être tuées.


J'ai un esprit qui réfléchit trop et analyse tout ce qu'il l'entoure, peut-être que c'est cela que ma mère appelait « ma différence ». Si j'étais comme les autres, aurais-je perdu mes parents qui me sont si cher ? Je ne peux rien faire d'autre qu'attendre mais j'aimerais tellement agir, leur demander ce qu'ils vont me faire. Depuis qu'ils m'ont kidnappée, je n'ai pas parlé ni même pleuré même si mes yeux m'ont piqués plus d'une fois. Je me sens faible et lâche mais chacun sa réaction face à cette situation... Je laisse mon esprit vagabondé encore plusieurs heures quand mes pensées furent trop lourdes et je sombrai comme une masse sur le sol.

Jusqu'où résister ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant