Chapitre 31

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A cause de la douleur je ne bouge pas, je suis recroquevillée au sol avec les mains sur la tête. Je pensais m'être habituée à la sirène qui hurle mais j'ai l'impression qu'elle est encore plus forte que les autres fois. Mes ongles sont enfoncés dans ma chair, mes paupières fortement serrées et ma bouche grimace. Je n'entends rien qui puisse venir de l'extérieur mais je me sens trembler, des tremblements pareils à des spasmes.

Je pensais que quitter le baraquement et mettre de la distance entre eux et moi me permettrait de ne plus ressentir tout ce qu'ils ont pu ou pourront me faire. Je prends conscience que le passé ne se fuit pas aussi facilement...

Je me tords de douleur encore un certain temps, il y a même une autre source de cri qui retentit en moi faisant de la douleur dans mon crâne insupportable. Puis c'est de la même manière qu'elle est arrivée, qu'elle repart. Je reste encore crispée quelques minutes m'attendant à la revoir surgir mais elle ne revient pas. Mon esprit est déboussolé, il ne sait plus penser ni contrôler mon corps.

C'est alors qu'un visage apparaît dans mon champ de vision, il est inquiet. Il me touche le visage et les cheveux – heureusement mes capteurs sensoriels sont encore en état de marche – ses lèvres bougent comme s'il disait quelque chose mais je n'entends rien. C'est encore plus assourdi que si j'étais sous l'eau ; ce serait plus comme s'il était à plusieurs mètres de cette source d'eau où je suis et qu'il me parlait en chuchotant. Je dois battre des paupières un nombre incalculable de fois avant de retrouver une vue claire. Cette personne prend peu à peu forme devant mes yeux sans les contours flous, elle continue de parler sans comprendre que son action est vaine. J'essaye de bouger mais rien ne répond aux messages nerveux envoyés à mes membres. Ma respiration se calme jusqu'à trouver un rythme régulier légèrement rapide. Je continue de battre des paupières ainsi que de me concentrer sur ce que je vois. Bouger mes cils ou mes yeux est trop douloureux alors je me raccroche corps et âme à la personne qui me fait face. Elle continue de me parler et de me sourire puis je la vois se tourner et parler à quelqu'un derrière mais cette personne n'est pas dans mon angle de vue ; et je suis trop exténuée pour oser m'y intéresser.

Tout à coup un silence de mort se fait, je n'entends même plus le cri des oiseaux qui étaient légèrement perceptible, c'est encore plus silencieux que lorsqu'on se bouche les oreilles. Un grésillement retentit toujours dans ma tête puis suivi dans un autre silence j'entends une voix me parler :

- Bonjours 427, vous m'entendez bien ? Je vous avoue que je ne suis pas certaine que je sois totalement intelligible dans mes paroles, vous avez terriblement endommagé la puce, heureusement nous avons pu entrer en contact. Tout se règle finalement ! Vous devez sûrement être surprise d'avoir été retrouvée et que finalement nous vous suivons encore malgré votre désistement qui a fait un sacré remue-ménage. Vous avez énervé de nombreuses personnes qui justement sont à votre recherche. C'est pour cette raison que je prends contact avec vous pour vous prévenir de leur arrivée imminente. 427, je suis une amie pour vous, croyez-moi je suis l'une des seuls à être votre allié. Je vous propose alors un marché, lâchez le groupe avec lequel vous êtes pour éviter que vous ne soyez tuée au milieu d'étrangers lorsqu'ils arriveront et retrouvons-nous dans les bois. Je vous protègerai mais en retour je veux que vous me soyez fidèle. M'avez-vous bien entendu 427 ?

Je ne sais pas comment arrêter cette voix dans ma tête et je sais encore moins comment réagir à ce que Madame Yonguet vient de m'annoncer. Je ne veux pas mourir maintenant et encore moins que la communauté de mes parents périsse par ma faute mais je ne veux pas retrouver madame Yonguet. A moins que je réussisse à mettre le groupe à l'abri et que j'arrive à me cacher pour échapper à madame Yonguet.

Je ferme les yeux fortement et commence à faire prendre vie les mots devant mes yeux. Je ne sais pas si elle m'entend mais j'espère que cela fera l'affaire. Après lui avoir soumis ma décision, le silence se fait moins pesant et je retrouve la vue ainsi que le contrôle de mon corps. Je prends une énorme inspiration comme si j'avais retenu mon souffle tout le long du discours de madame Yonguet. J'ai l'impression de revivre, je m'assois regardant à droite et gauche me sentant perdue. Puis tout me revient, je me relève trop rapidement et je suis prise de vertige, heureusement, Chimako qui était à mes côtés me retient empêchant d'embrasser le sol une nouvelle fois. Sa présence à mes côtés me rassure et ne fait que confirmer le choix que j'ai fait il y a quelques minutes.

Une fois mes esprits repris, je demande à Chimako de réunir le groupe autour de moi ; pendant ce temps-là, je m'assis à même le sol et prépare mes mots avec minutie.

- C'est bon, Célia, tout le monde est là, me dit-il en effectuant une pression sur mon épaule.

- Merci, tu peux t'assoir avec eux, s'il te plaît.

Il me regarde sans comprendre, puis se tourne et se poste devant moi avec un regard bienveillant me redonnant courage.

C'est alors que je rassemble mes forces pour me lever et je commence mon discours :

- Je vous ai demandé de vous assoir face à moi parce que j'ai quelque chose d'important à vous annoncer. Mes parents m'ont demandée de prendre leur relève après leur décès, je dois alors prendre une grande décision après la perte de votre domicile, les nombreux décès et aussi à cause de mon passé. Nous ne sommes plus à l'abri et j'ai bien peur que vos vies soient en danger.

Certaines personnes s'agitent, une vieille femme se met à pleurer fortement déclenchant les pleurs d'un enfant en bas âge, créant une panique chez les autres palpable dans l'air. Au fond de moi je suis ébranlée mais je ne laisse rien paraître et intime le silence.

- C'est pour cette raison qu'il faut garder votre calme. C'est dur, certes, mais je vais demander à certaines personnes de faire des sacs de nourriture pour une semaine au moins en fonction des vivres qu'il reste. Vous allez faire des groupes de quatre ou cinq pour vous permettre de vous fondre dans la masse.

Une femme au fond se lève et prend la parole :

- Nous ne nous sommes jamais fondue dans la masse auparavant ce n'est certainement pas maintenant par la décision d'une gamine qui n'y connaît rien que nous allons le faire.

- Vous avez raison, je ne vous connais pas, je ne sais pas ce que vous avez vécu. Je ne savais même pas que mes parents vivaient ici il y a seulement quelques jours donc je comprends que vous soyez tous perdus mais je vais vous demander de me faire confiance. Ceux qui arrivent n'ont aucune pitié et malheureusement je les connais bien pour vous dire que même en leur expliquant calmement que vous n'y êtes pour rien, vous périrez de votre vie sans jamais les empêcher de dormir le soir.

Plus aucun bruit ne se fait dans les rangs face à moi. Je ne sais pas si c'est un bon ou un mauvais signe. C'est quand Chimako se lève suivi des autres pour aller rassembler leurs affaires et commencer à faire des groupes que je me rends compte qu'en parlant avec le cœur, j'ai réussi à les convaincre.

Jusqu'où résister ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant