Chapitre 9

25 4 0
                                    

Ça fait une demi-heure que je suis réveillée. J'ai une tasse de chocolat chaud entre les mains et une couverture rêche sur les épaules. Je suis dans le réfectoire avec Thomas, Annabelle et Lukas. Je suis mal en point, oui, ce n'est pas très étonnant mais ce qui l'est, c'est que je ne me rappelle que de quelques bribes d'informations et encore je crois que je ne me souviens que de celles qui sont les plus floues et inexplicites... J'ai été réveillée par du bruit autour de moi, j'avais ouvert les yeux avec du mal puis j'avais pu voir Annabelle penchée au-dessus de moi ; je n'avais cependant pu voir que la touffe de cheveux de Thomas qui courait vers la salle de bain. Mon esprit était assez embrumé et j'avais les oreilles qui sifflaient, enfin j'ai toujours les oreilles qui sifflent. Une fois qu'ils m'ont passée un bout de tissu sur le visage pour retirer le sang séché et la crasse, qui à chaque frôlement sur ma peau réveillait tous mes sens. Nous sommes allez au réfectoire pour me préparer un chocolat chaud, je tremblais beaucoup, ils pensaient que c'était de froid alors que je savais très bien que c'était la peur qui animait mes muscles ; mais je n'avais pas eu la force de leur dire. Ils m'ont posée une bonne douzaine de questions auxquelles je n'ai pas répondu. Je ne me souviens de rien mais je sais que je suis ici par un miracle, un merveilleux miracle. Je suis déchirée, vide, comme morte. Peut-être que si j'étais morte, j'aurais moins souffert... Je ne peux même pas décrire ce que je ressens, j'ai toutes mes forces qui m'ont abandonnée. Mais ce qui me frustre le plus, c'est d'avoir peur, je regarde régulièrement autour de moi comme si j'attendais que quelqu'un que je redoute vienne et recommence ce qu'il avait fait pour me mettre dans cet état. Je me souviens de la promesse que je m'étais faite, de ne pas mourir ni même craindre les Attrapeurs ou cette madame Yonguet... Je crois bien que même avec tout le courage dont je disposais et Dieu sait combien j'en disposais, ils ont pourtant réussi à me briser. Depuis qu'on est arrivé dans le réfectoire, Thomas me regarde de loin et lorsque nos regards se croisent - bien que je l'évite - il ouvre la bouche comme pour me dire quelque chose puis la ferme sans rien prononcer. Ils me regardent tous les trois avec attention essayant de percer mon moindre geste pour commencer une discussion mais ils ne le font pas. J'ai pourtant essayé de faire réagir Annabelle en lui souriant mais je crois qu'ils ont trop peur que je m'écroule - ça ne m'étonne pas, je dois faire pitié... Après une dizaine de minutes, Annabelle se décide à parler :

- Célia... On s'inquiète pour toi....

Les garçons acquiescent de la tête avec un regard compatissant de la part de Lukas.

- Je..., commençais-je avec difficultés ça fait longtemps que je n'ai pas parlé. Je vais bien...

- Arrête Célia ! me repris Lukas. Tu trembles beaucoup et tu as le regard vide. Je sais que...

- Laissez-nous, coupa Thomas. Je veux parler seul à seul avec Célia.

Lukas le regarde sans rien dire ne comprenant pas puis Annabelle le prend et ils s'en vont. Thomas n'a pas bougé et garde le regard rivé sur la table. Je ne comprends pas son comportement. Si c'est pour ne pas me parler pourquoi prétendre le faire et surtout renvoyer Anna et Lukas comme ça ! Il m'énerve ! Mon cœur commence à s'accélérer... Je suis prise d'un sentiment inconnu. Un gorille appuyé lourdement sur moi me faisant face m'apparaît, je le revois s'affaler à mes côtés puis courir se réfugier dans un coin. Tout à coup, je sursaute et regarde à ma droite. Thomas m'a enlacé et me berce doucement.

- Pourquoi tu me fais un câlin alors que tu n'es pas capable de me regarder ? lui dis-je furieuse.

- Je.... Je t'ai vu avant que tu reviennes... commence-t-il évitant ma question.

- Hein ? De quoi tu parles ?

- Beaucoup t'ont vu il y a deux semaines. Tu étais allongée sur ton lit et tu criais ; alors on t'a immobilisée et soignée, tu étais couverte de sang, de gros hématomes avaient pris place sur différents endroits de ton corps mais les plus impressionnants étaient ceux que tu avais sur les membres et le visage. Tu avais aussi le nez cassé et gonflé.

Il marque une pause, il a l'air secoué. Je ne me souviens pas de ces moments peut-être que ce n'étais pas moi. Il reprend avec la voix cassée :

- Une nuit, tu t'es levée et tu as pris peur lorsque j'ai allumé la lumière en t'entendant et quand j'ai voulu venir vers toi. Tu es partie en courant mais tu as vite été arrêtée par un mur et un gros craquement avait retenti lorsque tu avais touché le mur. Tu avais mal et tu te tordais dans tous les sens en répétant de te laisser tranquille alors je me suis penché vers toi et t'ai dit de ne pas t'inquiéter, que j'étais là, alors tu as tourné de l'œil. Je suis resté longtemps à ton chevet mais j'ai dû te quitter lorsqu'Anna m'a emmené de force le lendemain matin. Je ne voulais pas te laisser. Même si Anna avait raison, rester avec toi m'aurait condamné à mort, mais j'aurais dû rester avec toi ! Tu n'aurais alors pas disparue dans la journée...

- Thomas....

- Attends je n'ai pas fini, me coupe-t-il. J'ai été dévasté en ne te voyant pas à mon retour ! J'ai fouillé partout ! Espérant te trouver quelque part mais tu étais introuvable... Le lendemain, j'avais pris ma décision, je voulais allez voir madame Yonguet pour savoir ce que tu étais devenue. Je sais que c'était insensé mais je voulais te revoir, tu comprends ?

- Thomas.... Je... je.... J'ai disparu combien de temps ?

Je crois qu'il espérait que je lui réponde mais je n'ai rien à dire. Je ne sais pas où j'étais, ni même avec qui. Je ne me souviens de rien alors comment je pourrais le rassurer. De plus, je sais que j'en suis incapable, je suis trop apeurée et dévastée. Il me regarde attentivement pour finalement me répondre :

- Ça fait déjà un mois et demi... Dit-il dans un souffle.

Un mois et demi ? Vraiment ? Ils m'ont pris pendant un mois et demi ? Et je n'ai aucun souvenir d'une aussi longue période ? Il doit avoir mal compté, je n'ai pas pu disparaître autant de temps ! Je le regarde attentivement pour peut-être y discerner une onde de doute mais il a l'air seulement triste. Il a la tête baissée et n'ose pas me regarder. Je le regarde encore quelques instants jusqu'à ce que je me rende compte que je ne fais plus que le regarder, je suis en train de l'admirer, le contempler. Une larme attire mon regard, je ne voulais pas le faire souffrir par ma disparition mais ça a été le cas contre mon gré. C'est donc hors de question que je le fasse alors que je me trouve à ses côtés. Je le prends dans mes bras et pose ma tête contre son épaule pour le réconforter. Je sens son odeur, sa respiration s'accélérer par ma proximité puis sa douleur. C'est un mélange de tristesse, de regret et de haine, et je discerne seulement une infime pointe de joie ; il y a aussi un autre sentiment mais je n'arrive pas à le définir. Un bruit strident vient rejoindre mes questions. Je pensais qu'il ne résonnait que dans ma tête, j'étais habituée depuis quelques temps de n'entendre qu'un mot sur deux à cause de sifflements, mais Thomas se décale vivement et me regarde avec attention. Dès qu'il se retire, je ne ressens plus ses émotions et le bruit s'arrête soudainement.

- C'était quoi, ça ? me demande-t-il méfiant.

- Je... je ne sais pas, commençais-je perdue. Je pensais que c'était seulement dans ma tête, j'entends ce même bruit continuellement.

- Tu l'entends tout le temps ? repris-t-il soucieux.

- Oui mais ne t'inquiète pas on s'y habitue... le rassurais-je en voyant son expression horrifiée.

Il me regarde quelques instants, il n'a pas l'air de me croire et essaye d'y décerner quelque chose que seul lui connaît. Il ouvre la bouche pour me parler mais il la referme aussitôt et me souris doucement. Il se lève et me tend sa main toujours avec le sourire. Je m'appuie sur lui pour me lever et nous marchons en direction du dortoir. Tout le long du trajet, il me tenait par le bras pour que je ne tombe pas. J'essayais de m'appuyer un minimum sur lui pour ne pas être un poids mais finalement mes jambes flageolaient de trop et j'ai accepté son aide. On a dû parcourir à peine cent cinquante mètres mais c'était déjà très long pour moi, tous mes muscles sont ankylosés et j'ai l'impression que les informations normalement transmises à une extrême vitesse par les neurones sont beaucoup plus lentes. Me donnant l'impression d'être vieille et sans moyen de me défendre. Le simple fait de poser un pied au sol sans regarder qu'il soit bien placé pour éviter de se casser la cheville me manque terriblement et me frustre. J'ai la sensation d'être à des années lumières de là où je me trouve entraînant une absence de vie d'un point de vue extérieur. Je fais pourtant des efforts pour me concentrer sur l'environnement extérieur mais ça me prend beaucoup d'énergie et je me fatigue rapidement. 

Jusqu'où résister ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant