Chapitre 22

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Nous sommes dans les égouts en direction de l'autre versant de la colline où j'ai discuté avec Anamin. Les roues du cadi, avec lequel la jeune femme était revenue après avoir reçu une directive de ma mère, est le seul bruit qui rythme cette ambiance silencieuse, de mort. Chimako se charge de pousser le cadi et ma mère profite du voyage à l'intérieur, elle ne peut pas marcher. Je suis devant, en train de réfléchir aux derniers évènements - même si j'évite celui de mon père, qui revient à la charge à chaque fois que je me relâche - tout en dirigeant le petit groupe. Que va pouvoir me dire ma mère ? Comment a-t-elle pu changer autant en si peu de temps ? A-t-elle vécu des choses encore plus dures que moi pour avoir un visage si vieux et fatigué ? Que vais-je faire après ? J'avais prévu de partir à la recherche de mes parents mais je les ai retrouvés. Dès que j'avais sauté à travers la plaque d'égout et atterri dans cette eau sale, je voulais en partir. Cette saleté n'est pas mon habitat, j'ai toujours vécu dans des lieux respectables. Je ne supporterai pas l'odeur d'excréments ou de vomi à longueur de journée. Ils ont en plus l'air de ne pas beaucoup sortir. Sûrement que les Attrapeurs l'avaient appris et ces gens l'ont vécu à leurs dépens. Ça leur fera peut-être prendre conscience qu'ils ne vivront pas longtemps s'ils restent dans ces conditions. Je suis heureuse d'avoir retrouvée mes parents mais je ne me vois pas revivre avec eux - sans mon père - comme avant alors que j'ai subi des choses horribles et traumatisantes et qu'il ne me reste que ma mère. Je ne pourrais la regarder en face en ayant des bribes de souvenir qui me font douter de mon innocence et avec l'idée que si mon père était là ce serait différent. Lorsque j'étais dans cette enceinte, je dormais dans un vrai lit, il y avait des douches, de la nourriture. J'en arrive à regretter d'être partie. Nous mangions des légumes, j'avais même bu un chocolat chaud, alors que je n'en avais pas avalé depuis des lustres. J'ai beau avoir été maltraitée comme jamais je n'avais connu, je préfèrerais vivre ça une deuxième fois que de vivre dans ce trou à rats où les seuls occupant en bonne santé sont les rats eux-mêmes.

Nous débouchons sur la colline, les rayons du soleil caressent mon visage et le vent vient s'engouffrer dans mes cheveux comme un père et une mère feraient en voyant leur enfant. Je me sens bien dans les bras de ces enfants de la Nature, je me sens à l'abris, en sécurité. Je suis rarement dehors depuis quelques temps alors j'en profite à fond et cela me fait apprécier le moment un peu plus. La brise me rappelle tellement de souvenirs, des souvenirs heureux qui finissent souvent par une cassure. Je m'avance encore un peu et m'affale dans l'herbe en faisant face à la forêt. J'aurais préféré être du côté qui donne sur la ville mais d'après Hyungi, de jour, les personnes de la tour-arbre pourraient nous voir. J'ai dû alors accepter à contre cœur d'aller de l'autre côté où il n'y a que des feuillages à perte de vue. C'était une idée de ma mère, elle veut sûrement parler avec moi en ayant un peu plus d'intimité. M'annoncera-t-elle qu'elle est mourante et que je vais devoir lui dire au revoir aussi alors que ça ne fait que quelques heures que je suis à ses côtés ?

Je vois du coin de l'œil que Chimako aide ma mère à sortir du cadi. Je n'ai pas envie de les aider, je suis encore trop perdue pour entreprendre un geste envers ma mère, de peur de la blesser plus si je m'en vais en pleine nuit.

J'ai eu le temps de réfléchir à une sortie de secours si jamais je devais m'enfuir. J'en suis arrivée que de nuit sera le mieux et je partirais par les égouts - il n'y a que ça de toute façon pour fuir le hall - qui vont vers le versant de la colline donnant sur la ville. Je n'aurais qu'à courir comme je l'ai fait lorsque je suis partie du bâtiment où Thomas et Annabelle étaient. Quand je repense à eux, j'ai toujours un pincement au cœur, même s'ils m'ont trahie en s'embrassant devant mes yeux, ils me manquent terriblement. C'était les seuls à ne pas connaître ma vie d'avant ou d'en faire partie. Ils ne connaissaient que la fille qui avait disparue pendant un mois et demi qui avait survécu à madame Yonguet alors qu'en une semaine ils avaient cru que c'était leur fin. J'étais pour eux, une fille assez mystérieuse qui ne se rappelait rien de son séjour. Je regrette de ne plus être cette fille, celle qui avait assez de force pour ne pas craquer, celle qui gardait le sourire lorsqu'un enfant venait lui parler, celle qui s'accrochait aux souvenirs de ses parents, celle qui n'avait pas été anéantie en voyant dans quel état était ses parents qu'elle voyait comme ses piliers qui ne pouvaient casser. Je regrette d'être partie sur un coup de tête en voyant celui que j'appréciais embrasser une autre alors que lorsque j'avais pu le faire, j'avais pris peur et m'étais défilée. Je mérite ce que j'endure, je n'avais qu'à être moins dérangée.

Jusqu'où résister ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant