Le voyage du retour s'est déroulé dans un silence glacial et morbide : plus d'une fois, j'eus envie de rappeler à mes parents que je n'étais pas encore morte et qu'il ne fallait pas considérer cette visite médicale comme un enterrement. Mais j'ai jugé que c'était plutôt de mauvais goût, alors comme eux, j'ai gardé le silence.
Une fois rentrés à la maison, sans aucun mot de plus, mes parents ont vaqué à leurs occupations : je suppose qu'il leur faut du temps pour avaler cette nouvelle et s'y confronter. À mes yeux pourtant, elle ne change rien.
En montant les marches de l'escalier qui mène à ma chambre, je me conforte dans l'idée que, de toutes façons, nous devons tous mourir un jour ou l'autre. Et il est arrivé que ma fin soit plus proche que celle des autres. Ce n'est pas pour autant que notre sort sera différent, n'est-ce pas ? Après tout, nous sommes tous mortels.
Une fois arrivée dans la pièce qui m'est réservée, je me laisse tomber sur mon lit. Je repense à toutes ces analyses, tous ces examens, que je subis depuis mon plus jeune âge. Cette maladie n'aurait-elle pas pu être dépistée plus tôt ? Ai-je raté un examen ? Est-ce la faute du médecin ? Je pose mes mains sur mon visage : essayer de trouver une explication, aussi ridicule soit-elle, est inutile. La vérité est là, bien réelle. Et dans un an, c'est moi qui ne le serai plus.
Allongée sur le dos et mes pieds touchant encore le sol, je fixe le plafond. Trois cent soixante-cinq jours. Je me réjouis que mon temps soit aussi long, et pourtant, si court. Je n'ose pourtant pas imaginer l'état dans lequel je me trouverais si le docteur m'avait annoncé que demain, je ne serais plus de ce monde. Je soupire de soulagement.
Pourquoi suis-je aussi calme ? Chaque seconde qui s'écoule en est une de moins. C'est une fatalité pour tous les hommes. Mais moi, j'ai la chance de savoir combien il m'en reste : tandis que l'on craint de ne pas savoir où et quand se situe notre fin, moi je sais la mienne. Je sais quand elle arrivera. À peu près.
Je me relève subitement, ce qui me vaut un léger vertige qui disparaît aussitôt : s'il ne me reste qu'une année à vivre, comment puis-je la combler ? Souvent, les personnes se demandent "que ferais-je si, dans un ou deux jours, je devais mourir ?" et établissent une liste exhaustive de leurs ultimes souhaits. Et quels sont les miens ? Que vais-je faire ? La mort m'attend dans environ un an. Alors comment vivre l'année qu'il me reste ? Aller au lycée, ne rien dire, puis mourir dans mon coin me semble la meilleure idée. Ou alors, je pourrais voyager, découvrir, ressentir, réaliser des rêves insensés et profiter de la vie : mais ce n'est pas possible.
Je ne suis qu'une simple adolescente de quinze ans : je ne peux pas vivre tout ce que l'avenir aurait pu m'offrir, en à peine trois cent soixante-cinq jours. Je n'ai ni rêve, ni ambition. Ni passion, ni envie. Je me lève chaque matin pour aller en cours et je reviens le soir à la maison pour me reposer, attendant l'aube qui m'indique qu'il faut recommencer. Cette routine ne me dérange pas : elle me rend heureuse, juste par ce qu'elle est. Je ne veux pas la changer.
Avec un léger sourire sur les lèvres, je me lève de mon lit, décidée à ne pas m'interroger plus longtemps sur ce sujet. En me dirigeant vers ma bibliothèque, je tourne instinctivement la tête vers le miroir accroché au-dessus de ma commode en bois. L'image de mon reflet me conforte dans l'idée que je suis bel et bien condamnée : de légères cernes creusent le bas de mes yeux gris depuis plusieurs années, et mon teint est plus pâle que dans mes souvenirs d'enfant.
Mes cheveux châtain clair, quant à eux, n'ont malheureusement pas changé : toujours en bataille et indomptables, ils trônent sur mon crâne depuis ma naissance, riant de l'allure qu'ils me donnent. Je tente de passer une main parmi cette crinière, mais je la retire rapidement, de peur qu'elle y reste coincée. Ils ne sont pourtant pas si épais, au contraire. Peut-être est-ce leur ondulation qui les oblige à s'entremêler indéfiniment ?
Je cesse brutalement de contempler mon image maladive et me retourne vers ma bibliothèque : inutile de perdre la vue, en plus d'être malade. Tandis que mes doigts effleurent lentement chaque tranche des romans qui l'ornent, je me demande dans quel était je vais finir ma vie. Si la maladie qui me ronge est déjà visible maintenant, je risque de finir zombifiée avant même de mourir. Je ris silencieusement à cette idée qui me paraît bien trop surréaliste. De toutes façons, je ne peux rien y faire, alors autant continuer à vivre normalement. Tandis que ma main se décide finalement à prendre un roman au hasard, je sais que ma décision est déjà prise. Puisque ma vie semble presque achevée, autant la finir comme je l'ai commencée.
VOUS LISEZ
Memento Mori
RomanceNous souvenir que nous allons mourir. Jeanne ne pourrait l'oublier. Sa santé le lui interdit. Elle sait que nous sommes tous condamnés. Elle sait qu'il n'y a pas d'âge pour mourir. Elle ignore encore qu'il n'y en a pas un pour aimer. (Cette histoire...