Chapitre 13

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Quelques jours plus tard, les températures sont redevenues hivernales et le ciel s'est couvert de nuages gris. Bien que l'après-midi soit déjà entamée, le givre recouvre encore les branches des arbres et les tuiles des maisons. Certaines voitures, inactives depuis ce matin, conservent cette mince couche de glace, sur laquelle des enfants se sont amusés à dessiner.

Malgré le début du week-end, je ne suis pas chez moi, mais dans la voiture de mes parents. Ils me conduisent là où je ne suis pas allée depuis longtemps. Et pourtant, je me rappelle encore de la route à suivre. Mais toujours pas de son nom. Ce n'est pas comme si c'était réellement important. En quoi savoir comment il s'appelle me serait-il utile ?

La voiture s'arrête brusquement, sans que mon père n'en coupe le moteur. Ma mère se retourne vers moi, l'anxiété et la tendresse maternelle noyant son regard. Elle me tend mon carnet de santé, ainsi qu'un tas d'autres feuilles dont j'ignore l'utilité et l'importance. Une fois qu'elle eut vérifié qu'il ne me manquait rien, elle me demande :

— Sois prudente, d'accord ? Surtout sur le chemin du retour. Ton père et moi serons à la maison, vers vingt et une heures. Ne nous attends pas pour manger. C'est compris, Jeanne ?

— Oui, maman.

Pourquoi se sent-elle obligée de s'inquiéter à ce point ? Certes, ils favorisent une visite chez des amis plutôt que rester avec moi, mais je préfère vraiment qu'ils ne m'accompagnent pas.

J'ouvre la portière et sors de la voiture, tenant fermement les feuilles de papier contre moi. J'arrive sur le trottoir, me postant devant la porte d'entrée du cabinet. Mon père, à travers la vitre, me lance un regard désolé. Je grimace sans le vouloir : ce n'est qu'une simple visite chez le médecin. Rien de bien affolant.

Mais en entrant dans la bâtisse, je ne peux m'empêcher de me rappeler de ma dernière venue. Huit mois se sont écoulés depuis. Est-ce passé vite ? Lentement ? Qu'importe. Je me dirige vers le bureau de la secrétaire. Elle a les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur. Je vais devoir attendre qu'elle relève la tête et daigne me remarquer.

Quelques minutes plus tard, elle engage enfin la conversation.

— Que puis-je pour vous, Jeanne ?

Elle me vouvoie, mais m'appelle par mon prénom. Étrange.

— J'ai rendez-vous avec le docteur.

Je l'appelle toujours "le docteur", comme une enfant, car je suis réellement incapable de me rappeler son nom. En plus d'être malade et affaiblie, je crois devenir amnésique.

— Il vous attend. Au fond du couloir, à... Suis-je bête, vous connaissez le chemin.

Je la remercie poliment d'un signe de tête, ignorant son sous-entendu déplacé. Je toque à la porte du cabinet en question, puis y entre.

Une odeur de médicaments et de gel hydroalcoolique vient envahir mes poumons. Je me retiens de faire demi-tour et m'avance, avant de prendre un siège. Le docteur est penché sur son bureau, un stylo à la main et des feuilles, sans doute à remplir, étalées devant lui. Ses lunettes couvrent son regard, que je sais sérieux et appliqué. Il esquisse une brève signature en bas d'une des pages, puis relève enfin la tête dans ma direction. Il reste immobile quelques minutes, m'analysant de haut en bas, comme si son regard seul suffisait à établir un diagnostic. Il retourne ensuite à ses papiers administratifs, si j'en crois l'emblème de l'État présent en au haut de ceux-ci.

— Comment te sens-tu, Jeanne ?

Je sursaute à sa question, ne m'attendant pas à ce qu'il prenne la parole aussi rapidement.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant